Histoire de la Révolution française, VIII. | Page 5

Adolphe Thiers

nécessaires au service du lendemain, et ils sortaient tout humides des
presses de la république. La plus grande incertitude régnait sur les
approvisionnemens, et pendant plusieurs jours on n'avait pu distribuer
que quelques onces de pain ou de riz au peuple.
La première demande fut une demande de fonds. D'après la constitution
nouvelle, il fallait que toute dépense fût précédée d'une demande de
fonds, avec allocation à chaque ministère. Les deux conseils
accordaient la demande, et alors la trésorerie, qui avait été rendue
indépendante du directoire, comptait les fonds accordés par le décret
des deux conseils. Le directoire demanda d'abord trois milliards en
assignats, qu'on lui accorda, et qu'il fallut échanger sur-le-champ contre
du numéraire. Était-ce la trésorerie ou le directoire qui devait faire la
négociation en numéraire? c'était là une première difficulté. La
trésorerie, en faisant elle-même des marchés, sortait de ses attributions
de simple surveillance. On résolut cependant la difficulté en lui
attribuant la négociation du papier. Les trois milliards pouvaient
produire au plus vingt ou vingt-cinq millions écus. Ainsi ils pouvaient
suffire tout au plus aux premiers besoins courans. Sur-le-champ on se
mit à travailler à un plan de finances, et le directoire annonça aux deux
conseils qu'il le leur soumettrait sous quelques jours. En attendant il
fallait faire vivre Paris, qui manquait de tout. Il n'y avait plus de
système organisé de réquisition; le directoire demanda la faculté
d'exiger, par voie de sommation, dans les départemens voisins de celui
de la Seine, la quantité de deux cent cinquante mille quintaux de blé, à
compte sur l'impôt foncier payable en nature. Le directoire songea
ensuite à demander une foule de lois pour la répression des désordres
de toute espèce, et particulièrement de la désertion, qui diminuait
chaque jour la force des armées. En même temps il se mit à choisir les
individus qui devaient composer l'administration. Merlin (de Douai) fut
appelé au ministère de la justice; on fit venir Aubert-Dubayet de

l'armée des côtes de Cherbourg pour lui donner le portefeuille de la
guerre; Charles Lacroix fut placé aux affaires étrangères; Faypoult aux
finances; Benezech, administrateur éclairé, à l'intérieur. Le directoire
s'étudia ensuite à trouver, dans la multitude de solliciteurs qui
l'assiégeaient, les hommes les plus capables de remplir les fonctions
publiques. Il n'était pas possible que dans cette précipitation il ne fît de
très mauvais choix. Il employa surtout beaucoup de patriotes, trop
signalés pour être impartiaux et sages. Le 13 vendémiaire les avait
rendus nécessaires, et avait fait oublier la crainte qu'ils inspiraient. Le
gouvernement entier, directeurs, ministres, agens de toute espèce, fut
donc formé en haine du 13 vendémiaire, et du parti qui avait provoqué
cette journée. Les députés conventionnels eux-mêmes ne furent pas
encore rappelés de leurs missions; et pour cela le directoire n'eut qu'à
ne pas leur notifier son installation; il voulait ainsi leur donner le temps
d'achever leur ouvrage. Fréron, envoyé dans le Midi pour y réprimer les
fureurs contre-révolutionnaires, put continuer sa tournée dans ces
contrées malheureuses. Les cinq directeurs travaillaient sans relâche, et
déployaient dans ces premiers momens le même zèle qu'on avait vu
déployer aux membres du grand comité de salut public, dans les jours à
jamais mémorables de septembre et octobre 1793.
Malheureusement, les difficultés de cette tâche étaient aggravées par
des défaites. La retraite à laquelle l'armée de Sambre-et-Meuse avait été
obligée donnait lieu aux bruits les plus alarmans. Par le plus vicieux de
tous les plans, et la trahison de Pichegru, l'invasion projetée en
Allemagne n'avait pas du tout réussi, comme on l'a vu. On avait voulu
passer le Rhin sur deux points, et occuper la rive droite par deux
armées. Jourdan, parti de Dusseldorf, après avoir passé le fleuve avec
beaucoup de bonheur, s'était trouvé sur la Lahn, serré entre la ligne
prussienne et le Rhin, et manquant de tout dans un pays neutre, où il ne
pouvait pas vivre à discrétion. Cependant cette détresse n'aurait duré
que quelques jours s'il avait pu s'avancer dans le pays ennemi, et se
joindre à Pichegru, qui avait trouvé, par l'occupation de Manheim, un
moyen si facile et si peu attendu de passer le Rhin. Jourdan aurait
réparé, par cette jonction, le vice du plan de campagne qui lui était
imposé; mais Pichegru, qui débattait encore les conditions de sa
défection avec les agens du prince de Condé, n'avait jeté au-delà du
Rhin qu'un corps insuffisant. Il s'obstinait à ne pas passer le fleuve avec

le gros de son armée, et laissait Jourdan seul en flèche au milieu de
l'Allemagne. Cette position ne pouvait pas durer. Tous ceux qui avaient
la moindre notion de la guerre tremblaient pour Jourdan. Hoche, qui,
tout en commandant en Bretagne, jetait un regard d'intérêt sur les
opérations des autres armées, en écrivait à tout le monde. Jourdan fut
donc obligé de se retirer
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 123
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.