Histoire de la Révolution française, IV | Page 9

Adolphe Thiers
parlent alors de ses dangers. "Il me reste toujours, dit-il, un temps de galop vers les Autrichiens.--Vous voulez donc partager le sort de Lafayette?--Je passerai a l'ennemi autrement que lui; et d'ailleurs les puissances ont une autre opinion de mes talens, et ne me reprochent pas les 5 et 6 octobre."
Dumouriez avait raison de ne pas redouter le sort de Lafayette; on estimait trop ses talens, et on n'estimait pas assez la fermete de ses principes, pour l'enfermer a Olmuetz. Les trois envoyes le quitterent en lui disant qu'ils allaient sonder Paris et les jacobins sur ce sujet.
Dumouriez, tout en croyant ses interlocuteurs de purs jacobins, ne s'en etait pas exprime avec moins d'audace. Dans ce moment en effet ses projets devenaient evidens. Les troupes de ligne et les volontaires s'observaient avec defiance, et tout annoncait qu'il allait lever le drapeau de la revolte.
Le pouvoir executif avait recu des rapports alarmans, et le comite de surete generale avait propose et fait rendre un decret par lequel Dumouriez etait mande a la barre. Quatre commissaires, accompagnes du ministre de la guerre, etaient charges de se transporter a l'armee pour notifier le decret et amener le general a Paris. Ces quatre commissaires etaient Bancal, Quinette, Camus et Lamarque. Beurnonville s'etait joint a eux, et son role etait difficile a cause de l'amitie qui l'unissait a Dumouriez.
Cette commission partit le 30 mars. Le meme jour Dumouriez se porta au champ de Bruille, d'ou il menacait a la fois les trois places importantes de Lille, Conde et Valenciennes. Il etait fort incertain sur le parti qu'il devait prendre, car son armee etait partagee. L'artillerie, la troupe de ligne, la cavalerie, tous les corps organises lui paraissaient devoues; mais les volontaires nationaux commencaient a murmurer et a se separer des autres. Dans cette situation, il ne lui restait qu'une ressource, c'etait de desarmer les volontaires. Mais il s'exposait a un combat, et l'epreuve etait difficile, parce que les troupes de ligne pouvaient avoir de la repugnance a egorger des compagnons d'armes. D'ailleurs, parmi ces volontaires il y en avait qui s'etaient fort bien battus, et qui paraissaient lui etre attaches. Hesitant sur cette mesure de rigueur, il songea a s'emparer des trois places au centre desquelles il s'etait porte. Par leur moyen il se procurait des vivres, et il avait un point d'appui contre l'ennemi, dont il se defiait toujours. Mais l'opinion etait divisee dans ces trois places. Les societes populaires, aidees des volontaires, s'y etaient soulevees contre lui, et menacaient la troupe de ligne. A Valenciennes et a Lille, les commissaires de la convention excitaient le zele des republicains, et dans Conde seulement l'influence de la division Neuilly donnait l'avantage a ses partisans. Parmi les generaux de division, Dampierre se conduisait a son egard, comme lui-meme avait fait a l'egard de Lafayette apres le 10 aout; et plusieurs autres, sans se declarer encore, etaient prets a l'abandonner.
Le 31, six volontaires, portant sur leur chapeau ces mots ecrits avec de la craie: _Republique ou la mort_, l'aborderent dans son camp, et firent mine de vouloir s'emparer de sa personne. Aide de son fidele Baptiste, il les repoussa et les livra a ses hussards. Cet evenement causa une grande rumeur dans l'armee; les divers corps lui firent dans la journee des adresses qui ranimerent sa confiance. Il leva aussitot l'etendart, et detacha Miacsinsky avec quelques mille hommes pour marcher sur Lille. Miacsinsky s'avanca sur cette place, et confia au mulatre Saint-George, qui commandait un regiment de la garnison, le secret de son entreprise. Celui-ci engagea Miacsinsky a se presenter dans la place avec une legere escorte. Le malheureux general se laissa entrainer, et une fois entre dans Lille, il fut entoure et livre aux autorites. Les portes furent fermees, et la division erra sans general sur les glacis de Lille. Dumouriez envoya aussitot un aide-de-camp pour la rallier. Mais l'aide-de-camp fut pris aussi, et la division, dispersee, fut perdue pour lui. Apres cette tentative malheureuse, il en essaya une pareille sur Valenciennes, ou commandait le general Ferrand, qu'il croyait tres-bien dispose en sa faveur. Mais l'officier charge de surprendre la place trahit ses projets, s'unit a Ferrand et aux commissaires de la convention, et il perdit encore Valenciennes. Il ne lui restait donc plus que Conde. Place entre la France et l'etranger, il n'avait que ce dernier point d'appui. S'il le perdait, il fallait qu'il se soumit aux Imperiaux, qu'il se remit entierement dans leurs mains, et qu'il s'exposat a indigner son armee, en les faisant marcher avec elle.
Le 1er avril, il transporta son quartier-general aux Boues de Saint-Amand, pour etre plus rapproche de Conde. Il fit arreter le fils de Lecointre, depute de Versailles, et l'envoya comme otage a Tournay, en priant l'Autrichien Clerfayt de le faire garder en depot dans la citadelle. Le 2
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