Histoire de la Révolution française, IV | Page 7

Adolphe Thiers
des Ardennes, est gendre de son confident Sillery; ses deux fils occupent le premier rang dans l'armee de la Belgique; Dumouriez enfin leur est ouvertement devoue, et il les eleve avec un soin particulier: les girondins ont attaque en janvier la famille d'Orleans; mais c'est une feinte de leur part qui n'avait d'autre but que d'ecarter tout soupcon de connivence: Brissot, ami de Sillery, est l'intermediaire de la conspiration: voila le complot decouvert; le trone est releve et la France perdue, si on ne s'empresse de proscrire les conjures. Telles etaient les conjectures de Robespierre; et, ce qu'il y a de plus effrayant dans cette maniere de raisonner, c'est que Robespierre, inspire par la haine, croyait a ses calomnies. La Montagne etonnee repoussa sa proposition. "Donnez donc des preuves, lui disaient ceux qui etaient assis a ses cotes.--Des preuves, repondait-il, des preuves! je n'en ai pas, mais j'ai la _conviction morale!_"
Sur-le-champ on songea, comme on le faisait toujours dans les momens de danger, a accelerer l'action du pouvoir executif et celle des tribunaux, pour se garantir a la fois de ce qu'on appelait l'ennemi exterieur et interieur.
On fit donc partir a l'instant meme les commissaires nommes pour le recrutement, et on examina la question de savoir si la convention ne devait pas _prendre une plus grande part a l'execution des lois_. La maniere dont le pouvoir executif etait organise paraissait insuffisante. Des ministres places hors de l'assemblee, agissant de leur chef et sous sa surveillance tres eloignee, un comite charge de faire des rapports sur toutes les mesures de surete generale, toutes ces autorites se controlant les unes les autres, deliberant eternellement sans agir, paraissaient tres au-dessous de l'immense tache qu'elles avaient a remplir. D'ailleurs ce ministere, ces comites, etaient composes de membres suspects, parce qu'ils etaient moderes; et dans ce temps ou la promptitude, la force, etaient des conditions indispensables de succes, toute lenteur, toute moderation etait suspecte de conspiration. On songea donc a etablir un comite qui reunirait a la fois les fonctions du comite diplomatique, du comite militaire, du comite de surete generale, qui pourrait au besoin ordonner et agir de son chef, et arreter ou suppleer l'action ministerielle. Divers projets d'organisation furent presentes pour remplir cet objet, et confies a une commission chargee de les discuter. Immediatement apres, on s'occupa des moyens d'atteindre l'ennemi interieur, c'est-a-dire _les aristocrates, les traitres_, dont on se disait entoure. La France, s'ecriait-on, est pleine de pretres refractaires, de nobles, de leurs anciennes creatures, de leurs anciens domestiques, et cette clientele, encore considerable, nous entoure, nous trahit, et nous menace aussi dangereusement que les baionnettes ennemies. Il faut les decouvrir, les signaler, et les entourer d'une lumiere qui les empeche d'agir. Les jacobins avaient donc propose, et la convention avait decrete que, d'apres une coutume empruntee a la Chine, le nom de toutes les personnes habitant une maison serait inscrit sur leurs portes[1].
[Note 1: Decret du 29 mars.]
On avait ensuite ordonne le desarmement de tous les citoyens _suspects_, et on avait qualifie tels, les pretres non assermentes, les nobles, les ci-devant seigneurs, les fonctionnaires destitues, etc. Le desarmement devait s'operer par la voie des visites domiciliaires; et le seul adoucissement apporte a cette mesure fut que les visites ne pouvaient avoir lieu la nuit. Apres s'etre ainsi assure le moyen de poursuivre et d'atteindre tous ceux qui donnaient le moindre ombrage, on avait enfin ajoute celui de les frapper de la maniere la plus prompte, en installant le tribunal revolutionnaire. C'est sur la proposition de Danton que ce terrible instrument de la defiance revolutionnaire fut mis en exercice. Cet homme redoutable en avait compris l'abus, mais avait tout sacrifie au but. Il savait que frapper vite, c'est examiner moins attentivement; qu'examiner moins attentivement, c'est s'exposer a se tromper, surtout en temps de partis; et que se tromper, c'est commettre une atroce injustice. Mais, a ses yeux, la revolution etait la societe accelerant son action en toutes choses, en matiere de justice, d'administration et de guerre. En temps calme, la societe aime mieux, disait-il, laisser echapper le coupable que frapper l'innocent, parce que le coupable est peu dangereux, mais a mesure qu'il le devient davantage, elle tend davantage aussi a le saisir; et lorsqu'il devient si dangereux qu'il pourrait la faire perir, ou du moins quand elle le croit ainsi, elle frappe tout ce qui excite ses soupcons, et prefere alors atteindre un innocent que laisser echapper un coupable. Telle est la dictature, c'est-a-dire l'action violente dans les societes menacees; elle est rapide, arbitraire, fautive, mais irresistible.
Ainsi la concentration des pouvoirs dans la convention, l'installation du tribunal revolutionnaire, le commencement de l'inquisition contre les suspects, un redoublement de haine contre les deputes qui resisteraient a ces moyens extraordinaires, furent le resultat de la bataille de Nerwinde, de la retraite de la Belgique,
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