paroles, le jeune garçon avait fait un bond, et s'était
suspendu au cou de son père pour recevoir la récompense de son
application.
Pendant ce temps, la femme était occupée à étendre la nappe sur la
table et à servir le souper. Elle sourit amicalement à son mari et lui
adressa également quelques joyeuses paroles.
--Asseyez-vous, asseyez-vous, Damhout, dit-elle. Vous devez avoir
faim, et les pommes de terre seraient bientôt refroidies. J'ai acheté une
excellente sole pour vous, à bon marché, et toute vivante. Allons, mes
enfants, à table, à table!
Adrien Damhout ne fut pas insensible aux témoignages d'affection de
ses enfants; les rides disparurent de son front et un tranquille sourire
illumina son visage. Il donna à son fils les deux sous promis et tendit sa
paye à sa femme, qui, sans la compter, laissa glisser l'argent dans sa
poche.
Alors, tous prirent place à la table, couverte avec autant de propreté et
de coquetterie que si ces pauvres gens allaient manger des mets exquis
sur des assiettes de porcelaine et avec des cuillers en argent. Et
cependant ils n'allaient manger que des pommes de terre étuvées, dans
des assiettes grossières, avec des fourchettes de fer; sans compter la
petite sole frite, qui répandait un fumet appétissant et qui occupait le
milieu de la table comme une pièce d'honneur ou plutôt comme un
cadeau d'amitié.
Tous ensemble firent le signe de la croix et remercièrent Dieu en
silence; après quoi, ils se mirent à manger avec appétit. Seulement,
lorsque le poisson allait être entamé, le silence fut un peu troublé.
Damhout ne pouvait pas se décider à manger à lui seul la sole, si petite
qu'elle fût; il voulait partager la friture avec sa femme et ses enfants;
mais la femme prétendait qu'elle l'avait achetée pour lui seul et qu'il lui
ferait de la peine en insistant plus longtemps. Quoique les enfants,
prévenus par la mère, insistassent avec elle, la discussion se termina à
l'amiable par le partage du poisson entre tous les membres de la
famille.
Immédiatement après le souper, la nappe fut pliée et tout disparut en un
clin d'oeil de la table.
La femme s'assit à la droite de son mari et commença à parler avec lui
du travail et de la fabrique; les deux petites filles grimpèrent sur les
genoux du père. Bavon se tenait à sa gauche, le livre à la main, et
attendait que ses parents eussent fini de causer.
C'était un spectacle simple et émouvant que de voir cet ouvrier, dans
ses vêtements usés et souillés par le travail, tenant sur ses genoux deux
petits anges si propres et si souriants, entre une femme chérie et un fils
studieux qui levait vers lui un regard respectueux et suppliant.
--Chère père, puis-je lire? demanda enfin le petit garçon. Nous avons
reçu aujourd'hui une si belle leçon! Je ne sais pas si je la sais bien, mais
je ferai de mon mieux.
--Oui, Bavon, lis ta leçon devant ton père, dit la femme.
Le fils ouvrit son livre et lut avec une certaine difficulté et quelques
interruptions, mais assez distinctement pour être compris:
«Mes enfants, voulez-vous être bénis de Dieu sur la terre, honorez votre
père et votre mère. Ils vous chérissent comme la lumière de leurs yeux;
ils travaillent pour vous du matin au soir; le seul but de leurs efforts, de
leurs soins et de leurs prières n'est que votre bonheur. Aimez-les
tendrement, soyez-leur soumis et restez-leur reconnaissants; devenez le
soutien et la joie de leurs vieux jours, et récompensez ainsi l'amour
paternel, cette abnégation pure et presque divine.»
Cette lecture parut faire une mauvaise impression sur l'esprit de
Damhout; elle lui rappelait ce que Wildenslag lui avait dit et donnait de
nouvelles forces à la crainte que son ami avait, pour la vingtième fois,
réveillée en lui. Son visage devint sérieux et il secoua la tête d'un air
pensif.
--Bavon, comprends-tu ce que tu viens de lire? demanda-t-il après un
instant de réflexion.
--Oui, cher père, répondit l'enfant. Cela veut dire que vous travaillez
pour moi, et que je dois toujours vous aimer, vous et ma mère.
--Jusque dans nos vieux jours, Bavon.
--Oui, père, jusque dans vos vieux jours, aussi longtemps que je vivrai.
--Et le feras-tu, mon enfant?
Le petit garçon regarda son père d'un air étonné, mais ne répondit pas,
comme s'il ne concevait pas son doute.
--C'est bien, Bavon, dit Damhout; tu es sage. Reste toujours ainsi et
n'oublie jamais ce qui est écrit dans ton livre; sinon, Dieu te punira.
Il y eut un moment de silence; la femme épiait la physionomie de son
mari, qui semblait absorbé dans de sombres pensées.
--Adrien, murmura-t-elle, qu'as-tu donc, cher homme? Tu parais si
pensif! Je l'ai remarqué dès que tu es entré. Tu as quelque chose en tête.
As-tu
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