la présence
de son enfant avait éveillé en lui l'instinct des convenances. Enfin, il dit
avec un soupir:
--Mais, Lina, sans nous disputer, ne pourrais-tu pas tenir ta maison un
peu plus propre, et donner à tes enfants de meilleurs exemples? Vois
comme madame Damhout sait s'arranger. Son mari est un ouvrier
comme moi; il n'a rien de plus que son salaire journalier, et cependant,
dans sa maison, on mangerait sur le carreau, tellement tout y est propre.
--Que parles-tu de madame Damhout? répondit-elle d'un ton aigre.
C'est une bonne et brave femme, je ne le nierai pas; mais les Damhout
ne sont pas des gens comme nous. Sois-en certain, Wildenslag, ils ont
des biens ou de l'argent placé, quoiqu'ils le cachent.
--Non, non, ils n'ont rien de côté. Il n'entre pas dans la maison un
centime qu'Adrien Damhout n'ait gagné à la fabrique. Ils ont, au
contraire, moins que nous, puisque notre garçon gagne déjà quatre
francs par semaine.
--Joli sujet! Il reste sans doute dans l'un ou l'autre bouchon. C'est le
digne fils de son père; il ira loin, je te le promets.
--Non, non, il a suivi la retraite... Sois-en sûre, Lina, madame Damhout
fait son ménage avec moins que toi. Et, comme elle l'arrange, tu peux le
faire aussi.
--Allons, allons, Wildenslag, chacun se chausse à son pied, et il est
difficile d'apprendre à un vieux singe de nouvelles grimaces. Assez
là-dessus, ça ne sert de rien. Sais-tu ce que le propriétaire de la maison
dit de madame Damhout? Quelle est soigneuse et propre, parce qu'elle
sait lire.
--Le propriétaire dit cela pour rire. Madame Damhout ne sait lire que
dans un almanach et dans son livre de prières. Elle n'apprendra
certainement pas le ménage dans ces livres-là.
--C'est donc parce que Damhout dépense moins d'argent et reste à la
maison, tandis que tu passes des nuits entières au cabaret à boire et à
jouer?
--Cela est bien possible, répondit Wildenslag en secouant la tête avec
impatience. Qui te dit que je ne resterais pas à la maison, du moins
pendant la semaine, si tout ici n'était pas dégoûtant comme dans une
écurie, et si je pouvais seulement y trouver une figure amicale; mais, toi,
avec ta brutalité et ton manque de soin, tu chasserais un ange d'ici.
La femme, offensée, mit les poings sur les hanches et se disposait à
faire une sortie furieuse; mais la porte s'ouvrit avec fracas et un garçon
de quatorze ans, dont les vêtements étaient remplis de flocons de coton,
entra en dansant; il achevait le refrain d'une chanson obscène, quoiqu'il
tînt une pipe allumée entre ses lèvres.
Il se mit immédiatement à table et commença à manger des pommes de
terre brûlées; mais, après la première bouchée, il jeta la fourchette sur
le plat en grommelant et éclata en aigres reproches contre sa mère.
Au lieu de le corriger, le père lui donna raison.
--Voilà ma paye, dit le garçon en jetant trois francs sur la table. Les
pommes de terre sont brûlées et sentent la lessive. Je m'en vais; j'irai
manger ailleurs, là où l'on ne risque pas d'être empoisonné.
On se disputa violemment parce que le fils avait retenu un franc de sa
paye; cette scène se renouvela lorsque le père remit également son
argent. Néanmoins, après beaucoup de dures et grossières paroles, la
tempête se calma.
--Bonsoir, dit le garçon avec joie, je vais à la _Chèvre bleue_, manger
une tranche de jambon.
--Attends, Alexandre, je t'accompagne, dit le père. Il ne fait pas bon ici.
Après toute une semaine de travail, nous pouvons bien un peu nous
divertir.
--Ah! ils s'imaginent que je vais m'embêter toute la soirée à la maison,
tandis qu'il vont s'amuser à la _Chèvre bleue_ et s'en donner à coeur
joie? murmura la femme lorsque son fils et son mari furent partis. Il
faut que j'en aie ma part; j'aime aussi le jambon. Godelive, va pour une
heure chez madame Damhout. Je te ferai appeler.
Elle fouilla violemment dans le poêle avec le crochet pour étouffer le
feu; mais, comme cela n'allait pas assez vite à son gré, elle versa un
bassin de lessive sur les charbons ardents, de sorte que la chambre fut
remplie d'une fumée infecte.
--Eh! vous, là-bas, polissons! cria-t-elle-aux enfants, prenez garde de ne
pas toucher à la lampe et de ne pas jouer avec le feu, ou je vous casse le
balai sur les os!
À ce moment, elle vit que l'aîné des garçons tirait l'une de ses soeurs
par les cheveux, et elle entendit un bruit pareil à celui d'une étoffe qu'on
déchire.
--Finis donc, bourreau! grommela-t-elle. Attends un peu, vilain fainéant,
tu n'auras plus longtemps à paresser ici. La semaine prochaine, tu vas à
la fabrique. Quand je rentrerai, je te ficherai une petite raclée qui ne
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