Histoire de St. Louis, Roi de France | Page 7

Richard de Bury
faire fortifier Calais et quelques autres places de sa dépendance.
Entre les seigneurs ennemis du comte de Champagne, il y en eut quelques-uns qui, faisant céder la colère où ils étaient contre lui, à leur haine et à leur jalousie contre la régente, proposèrent, pour la perdre, un projet qu'ils crurent infaillible: ce fut de détacher de ses intérêts ce seigneur, qui, par sa puissance, était le principal appui de la régente, et aurait été le plus redoutable ennemi qu'on p?t lui susciter à cause de la situation de ses états au milieu du royaume. Il fallait, pour cet effet, lui faire reprendre ses anciennes liaisons. La comtesse de Champagne, Agnès de Beaujeu, était morte. Thibaud, jeune encore et n'ayant qu'une fille, cherchait à se remarier: on lui offrit la princesse Iolande, fille du comte de Bretagne, quoique, par le traité de Vend?me, elle e?t été promise à Jean de France, frère du roi. Thibaud écouta volontiers cette proposition. Après quelques négociations, l'affaire fut conclue, et le jour pris pour amener la jeune princesse à l'abbaye du Val-Secret, près Chateau-Thierry, où la cérémonie du mariage devait se faire. Le comte de Bretagne était en chemin pour venir l'accomplir, accompagné de tous les parens de l'une et de l'autre maison.
Quoique cette affaire e?t été tenue fort secrète, la régente toujours attentive aux moindres démarches des seigneurs mécontens, fut instruite, par ses espions et par les préparatifs que l'on faisait pour cette fête, de ce qui se passait. Elle en prévit les suites, en instruisit le roi son fils, et l'engagea d'écrire au comte de Champagne la lettre suivante, qu'elle lui fit remettre par Godefroi de la Chapelle, grand pannetier de France[1]: ?Sire Thibaud, j'ai entendu que vous avés convenance, et promis prendre à femme la fille du comte de Bretagne: pourtant vous mande que si cher que avez, tout quant que amés au royaume de France, ne le facez pas: la raison pour quoi, vous savés bien. Je jamais n'ai trouvé pis qui mal m'ait voulu faire que lui.? Cette lettre, et d'autres choses importantes que Godefroi de la Chapelle était chargé de dire au comte, de la part du roi, eurent leur effet. Thibaud changea de résolution, quelque avancée que f?t l'affaire; car il ne re?ut cette lettre que lorsqu'il était déjà en chemin pour l'abbaye du Val-Secret, où ceux qui étaient invités aux noces se rendaient de tous c?tés. Il envoya sur-le-champ au comte de Bretagne et aux seigneurs qui l'accompagnaient, pour les prier de l'excuser, s'il ne se rendait pas au Val-Secret, qu'il avait des raisons de la dernière importance qui l'obligeaient de retirer la parole qu'il avait donnée au comte de Bretagne, dont il ne pouvait épouser la fille. Aussit?t il retourna à Chateau-Thierry, où, peu de temps après, il épousa Marguerite de Bourbon, fille d'Archambaud, huitième du nom.
[Note 1: Joinville, 2e partie.]
Ce changement et cette déclaration du comte de Champagne mirent les seigneurs invités dans une plus grande fureur que jamais contre lui. La plupart de ceux qui devaient se trouver au mariage étaient ennemis du roi et de la régente, et cette assemblée était moins pour la célébration des noces, que pour concerter entre eux une révolte générale, dans laquelle ils s'attendaient bien à engager le comte de Champagne. Ils prirent donc la résolution de lui faire la guerre à toute outrance; mais, pour y donner au moins quelque apparence de justice, ils affectèrent de se déclarer protecteurs des droits qu'Alix, reine de Chypre, cousine de Thibaud, prétendait avoir sur le comté de Champagne.
Ce fut donc sous le prétexte de protéger cette princesse dont les droits étaient fort incertains, qu'ils attaquèrent tous ensemble le comte de Champagne, dans le dessein de l'accabler.
Ce fut alors que le comte de Boulogne, oncle du roi, se déclara ouvertement avec le comte Robert de Dreux, le comte de Brienne, Enguerrand de Coucy, Thomas, son frère, Hugues, comte de Saint-Pol, et plusieurs autres. Ayant assemblé toutes leurs troupes auprès de Tonnerre, ils entrèrent en Champagne quinze jours après la saint Jean, mirent tout à feu et à sang, et vinrent se réunir auprès de Troyes, à dessein d'en faire le siége, disant partout qu'ils voulaient exterminer celui qui avait empoisonné le feu roi: car c'était encore un prétexte dont ils coloraient leur révolte.
Le comte de Champagne, n'étant pas assez fort pour résister à tant d'ennemis, parce que ses vassaux étaient entrés dans la confédération, eut recours au roi, comme à son seigneur, et le conjura de ne le pas abandonner à la haine de ses ennemis, qu'il ne s'était attirée que pour lui avoir été fidèle; et cependant il fit lui-même détruire quelques-unes de ses places les moins fortes, pour empêcher les ennemis de s'y loger. Le seigneur Simon de Joinville, père de l'auteur de l'Histoire de saint Louis, se jeta
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