tra?ne à sa suite, dans tous les lieux où il pose sa chaire, trois mille écoliers, et qui, ne trouvant pas d'édifice suffisant à les contenir, prêche en plein air: il finit par planter le camp de ses écoles, comme il l'appelle lui-même, sur la montagne Sainte-Geneviève, et alors cette partie
de la ville commen?a à se peupler. ?Grace à lui, dit un contemporain, la multitude des étudiants surpassa dans Paris le nombre des habitants, et l'on avait peine à y trouver des logements[7].? Paris est aussi déjà la ville des plaisirs. ?? cité séduisante et corruptrice! dit un autre historien, que de piéges tu tends à la jeunesse, que de péchés tu lui fais commettre!? Et pourtant c'était le Paris de Louis VI comprenant, outre la Cité, vingt ou trente ruelles fétides, fangeuses, obscures, auquel on venait de donner pour la première fois une enceinte[8]! Mais que de passions et de rires dans ces maisons de bois basses, sombres, humides! Que de joyeux rendez-vous et de douces causeries à la place Baudet, sous l'ourmeciau Saint-Gervais, au Puits d'amour de la rue de la Truanderie! Que de sagesse dans l'humble manoir voisin de l'église Saint-Merry, d'où l'abbé Suger, ?ce Salomon chrétien, ce père de la patrie, armé du glaive temporel et du glaive spirituel,? gouvernait le royaume! Que de poésie et d'ivresse dans la chétive maison de la rue du Chantre, où Hélo?se et Abélard, ?sous prétexte de l'étude, vaquaient sans cesse à l'amour! Les livres étaient ouverts devant nous, raconte celui-ci, mais nous parlions plus de tendresse que de philosophie; les baisers étaient plus nombreux que les sentences, et nos yeux étaient plus exercés par l'amour que par la lecture de l'écriture sainte.? Que de douces aventures, de na?fs ébats, d'amoureuses chansons (les chansons d'Abélard ?qui retentissaient dans toutes les rues, dit Hélo?se, et rendirent mon nom célèbre par toute la France!?) dans ces clos cultivés, ces courtilles, où les vignobles ont succédé aux marécages, ou bien dans ces bourgs qui poussent autour des abbayes, à l'ombre de leurs clochers protecteurs, dans les champeaux Saint-Honoré, le Beau-Bourg, le Bourg-l'Abbé, le Riche-Bourg ou bourg Saint-Marcel, le bourg Saint-Germain-des-Prés, etc. Hélas! que sont devenus ces champs de verdure et ces frais ombrages? Des forêts de maisons les ont remplacés; les existences y sont moins grossières, moins sauvages, y sont-elles plus heureuses?
[Note 6: Citation de l'abbé Lebeuf, dans sa Dissertation sur l'état des sciences, t. II, p. 20.]
[Note 7: Hist. littér. de France, t. IX, p. 78.]
[Note 8: L'enceinte de Paris sous Louis VI est mal connue: elle allait probablement, au nord, de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois à l'église Saint-Gervais, en passant par l'emplacement des rues aujourd'hui détruites ou transformées des Fossés-Saint-Germain, Béthizy, des Deux-Boules, des écrivains, d'Avignon, Jean-Pain-Mollet, de la Tixeranderie; au sud, de la place Maubert au couvent des Augustins, en passant par l'emplacement des rues des Noyers, des Mathurins, du Paon, etc.]
Le nombre des églises ou fondations religieuses continue aussi à s'accro?tre: sous Louis VI sont fondées l'abbaye Saint-Victor, Sainte-Geneviève-des-Ardents, Saint-Pierre-aux-Boeufs, qui n'existent plus; Saint-Jacques-la-Boucherie, dont la tour subsiste encore; la léproserie de Saint-Lazare, devenue une prison, etc.; sous Louis VII, Saint-Jean-de-Latran, Saint-Hilaire, qui n'existent plus.
A cette époque, l'administration de Paris commence à prendre une forme régulière. Un prév?t, officier du roi, remplace le comte et se trouve chargé de gouverner la ville, de faire la police, de commander les gens de guerre et de rendre la justice civile et criminelle non à tous les habitants, mais à ceux seulement qui appartenaient au domaine royal, les autres ayant leurs justices particulières, seigneuriales ou ecclésiastiques. La cour féodale du prév?t était au Chatelet, et ce tribunal acquit bient?t une grande célébrité.
Dans ce même temps, quelques actes nous révèlent le commerce et la richesse de Paris. Pour la première fois, nous entendons parler de ces nautes parisiens si célèbres au temps de la domination romaine, de cette corporation des marchands de l'eau qui avait traversé en silence les ages et les révolutions et qui nous appara?t tout à coup riche, puissante, craintive et favorisée des rois, aussi tyrannique que les seigneuries féodales, exer?ant sur la navigation de la Seine l'autorité la plus despotique, la plus jalouse, la plus avide, soumettant à ses volontés les marchands de la Bourgogne et de la Normandie. Nul bateau ne pouvait entrer dans la ville si le ma?tre de la nautée n'était un bourgeois hansé de Paris, ou s'il n'avait pris dans cette hanse un compagnon avec lequel il devait partager les bénéfices. La hanse parisienne, qu'on appelait aussi la marchandise, devint à cette époque la municipalité de Paris.
§ V.
Paris sous Philippe-Auguste.--Deuxième enceinte de la ville.
A mesure que le royaume s'étend et s'arrondit, la capitale s'accro?t et s'embellit. Sous Philippe-Auguste, on construit les premiers aqueducs qui aient été faits depuis la domination romaine, ceux qui