quelque éclat sous
Charlemagne, devient la lumière de l'Église sous les maîtres Adam de
Petit-Pont, Pierre Comestor, Michel de Corbeil, Pierre-le-Chantre et
surtout Guillaume de Champeaux. Mais elle est bientôt éclipsée par
l'école qu'ouvre dans la Cité, près de la maison du chanoine Fulbert,
Abélard, le grand homme du siècle, qui, malgré les persécutions dont il
fut l'objet, traîne à sa suite, dans tous les lieux où il pose sa chaire, trois
mille écoliers, et qui, ne trouvant pas d'édifice suffisant à les contenir,
prêche en plein air: il finit par planter le camp de ses écoles, comme il
l'appelle lui-même, sur la montagne Sainte-Geneviève, et alors cette
partie
de la ville commença à se peupler. «Grâce à lui, dit un
contemporain, la multitude des étudiants surpassa dans Paris le nombre
des habitants, et l'on avait peine à y trouver des logements[7].» Paris est
aussi déjà la ville des plaisirs. «Ô cité séduisante et corruptrice! dit un
autre historien, que de piéges tu tends à la jeunesse, que de péchés tu
lui fais commettre!» Et pourtant c'était le Paris de Louis VI comprenant,
outre la Cité, vingt ou trente ruelles fétides, fangeuses, obscures, auquel
on venait de donner pour la première fois une enceinte[8]! Mais que de
passions et de rires dans ces maisons de bois basses, sombres, humides!
Que de joyeux rendez-vous et de douces causeries à la place Baudet,
sous l'ourmeciau Saint-Gervais, au Puits d'amour de la rue de la
Truanderie! Que de sagesse dans l'humble manoir voisin de l'église
Saint-Merry, d'où l'abbé Suger, «ce Salomon chrétien, ce père de la
patrie, armé du glaive temporel et du glaive spirituel,» gouvernait le
royaume! Que de poésie et d'ivresse dans la chétive maison de la rue du
Chantre, où Héloïse et Abélard, «sous prétexte de l'étude, vaquaient
sans cesse à l'amour! Les livres étaient ouverts devant nous, raconte
celui-ci, mais nous parlions plus de tendresse que de philosophie; les
baisers étaient plus nombreux que les sentences, et nos yeux étaient
plus exercés par l'amour que par la lecture de l'Écriture sainte.» Que de
douces aventures, de naïfs ébats, d'amoureuses chansons (les chansons
d'Abélard «qui retentissaient dans toutes les rues, dit Héloïse, et
rendirent mon nom célèbre par toute la France!») dans ces clos
cultivés, ces courtilles, où les vignobles ont succédé aux marécages, ou
bien dans ces bourgs qui poussent autour des abbayes, à l'ombre de
leurs clochers protecteurs, dans les champeaux Saint-Honoré, le
Beau-Bourg, le Bourg-l'Abbé, le Riche-Bourg ou bourg Saint-Marcel,
le bourg Saint-Germain-des-Prés, etc. Hélas! que sont devenus ces
champs de verdure et ces frais ombrages? Des forêts de maisons les ont
remplacés; les existences y sont moins grossières, moins sauvages, y
sont-elles plus heureuses?
[Note 6: Citation de l'abbé Lebeuf, dans sa Dissertation sur l'état des
sciences, t. II, p. 20.]
[Note 7: Hist. littér. de France, t. IX, p. 78.]
[Note 8: L'enceinte de Paris sous Louis VI est mal connue: elle allait
probablement, au nord, de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois à l'église
Saint-Gervais, en passant par l'emplacement des rues aujourd'hui
détruites ou transformées des Fossés-Saint-Germain, Béthizy, des
Deux-Boules, des Écrivains, d'Avignon, Jean-Pain-Mollet, de la
Tixeranderie; au sud, de la place Maubert au couvent des Augustins, en
passant par l'emplacement des rues des Noyers, des Mathurins, du Paon,
etc.]
Le nombre des églises ou fondations religieuses continue aussi à
s'accroître: sous Louis VI sont fondées l'abbaye Saint-Victor,
Sainte-Geneviève-des-Ardents, Saint-Pierre-aux-Boeufs, qui n'existent
plus; Saint-Jacques-la-Boucherie, dont la tour subsiste encore; la
léproserie de Saint-Lazare, devenue une prison, etc.; sous Louis VII,
Saint-Jean-de-Latran, Saint-Hilaire, qui n'existent plus.
A cette époque, l'administration de Paris commence à prendre une
forme régulière. Un prévôt, officier du roi, remplace le comte et se
trouve chargé de gouverner la ville, de faire la police, de commander
les gens de guerre et de rendre la justice civile et criminelle non à tous
les habitants, mais à ceux seulement qui appartenaient au domaine
royal, les autres ayant leurs justices particulières, seigneuriales ou
ecclésiastiques. La cour féodale du prévôt était au Châtelet, et ce
tribunal acquit bientôt une grande célébrité.
Dans ce même temps, quelques actes nous révèlent le commerce et la
richesse de Paris. Pour la première fois, nous entendons parler de ces
nautes parisiens si célèbres au temps de la domination romaine, de cette
corporation des marchands de l'eau qui avait traversé en silence les
âges et les révolutions et qui nous apparaît tout à coup riche, puissante,
craintive et favorisée des rois, aussi tyrannique que les seigneuries
féodales, exerçant sur la navigation de la Seine l'autorité la
plus despotique, la plus jalouse, la plus avide, soumettant à ses volontés
les marchands de la Bourgogne et de la Normandie. Nul bateau ne
pouvait entrer dans la ville si le maître de la nautée n'était un bourgeois
hansé de Paris, ou s'il n'avait pris dans cette