Histoire de France 1305-1364 | Page 7

Jules Michelet
pape n'eût appris tout à coup que le roi faisait arrêter
partout les Templiers, et que son confesseur, moine dominicain et
grand inquisiteur de France, procédait contre eux sans attendre
d'autorisation.
Qu'était-ce donc que le Temple? Essayons de le dire en peu de mots:
À Paris, l'enceinte du Temple comprenait tout le grand quartier, triste et
mal peuplé, qui en a conservé le nom[19]. C'était un tiers du Paris
d'alors. À l'ombre du Temple et sous sa puissante protection vivait une
foule de serviteurs, de familiers, d'affiliés, et aussi de gens condamnés;
les maisons de l'ordre avaient droit d'asile. Philippe le Bel lui-même en
avait profité en 1306, lorsqu'il était poursuivi par le peuple soulevé. Il
restait encore, à l'époque de la Révolution, un monument de cette
ingratitude royale, la grosse tour à quatre tourelles, bâtie en 1222. Elle
servit de prison à Louis XVI.
[Note 19: La Coulture du Temple, contiguë à celle de Saint-Gervais,
comprenait presque tout le domaine des Templiers, qui s'étendait le
long de la rue du Temple, depuis la rue Sainte-Croix ou les environs de
la rue de la Verrerie jusqu'au delà des murs, des fossés et de la porte du
Temple. (Sauval.)]
Le Temple de Paris était le centre de l'ordre, son trésor; les chapitres
généraux s'y tenaient. De cette maison dépendaient toutes les provinces
de l'ordre: Portugal, Castille et Léon, Aragon, Majorque, Allemagne,
Italie, Pouille et Sicile, Angleterre et Irlande. Dans le nord, l'ordre
teutonique était sorti du Temple, comme en Espagne d'autres ordres
militaires se formèrent de ses débris. L'immense majorité des Templiers
étaient Français, particulièrement les grands maîtres. Dans plusieurs
langues, on désignait les chevaliers par leur nom français: Frieri del
Tempio, [Grec: phrerioi tou Templou.]
Le Temple, comme tous les ordres militaires, dérivait de Cîteaux. Le
réformateur de Cîteaux, saint Bernard, de la même plume qui
commentait le Cantique des Cantiques, donna aux chevaliers leur règle
enthousiaste et austère. Cette règle, c'était l'exil et la guerre sainte

jusqu'à la mort. Les Templiers devaient toujours accepter le combat,
fût-ce d'un contre trois, ne jamais demander quartier, ne point donner
de rançon, pas un pan de mur, pas un pouce de terre. Ils n'avaient pas
de repos à espérer. On ne leur permettait pas de passer dans des ordres
moins austères.
«Allez heureux, allez paisibles, leur dit saint Bernard; chassez d'un
coeur intrépide les ennemis de la croix de Christ, bien sûrs que ni la vie
ni la mort ne pourront vous mettre hors de l'amour de Dieu qui est en
Jésus. En tout péril, redites-vous la parole: Vivants ou morts, nous
sommes au Seigneur... Glorieux les vainqueurs, heureux les martyrs!»
Voici la rude esquisse qu'il nous donne de la figure du Templier:
«Cheveux tondus, poil hérissé, souillé de poussière; noir de fer, noir de
hâle et de soleil... Ils aiment les chevaux ardents et rapides, mais non
parés, bigarrés, caparaçonnés... Ce qui charme dans cette foule, dans ce
torrent qui coule à la Terre sainte, c'est que vous n'y voyez que des
scélérats et des impies. Christ d'un ennemi se fait un champion; du
persécuteur Saul, il fait un saint Paul...» Puis, dans un éloquent
itinéraire, il conduit les guerriers pénitents de Bethléem au Calvaire, de
Nazareth au Saint-Sépulcre.
Le soldat a la gloire, le moine le repos. Le Templier abjurait l'un et
l'autre. Il réunissait ce que les deux vies ont de plus dur, les périls et les
abstinences. La grande affaire du moyen âge fut longtemps la guerre
sainte, la croisade; l'idéal de la croisade semblait réalisé dans l'ordre du
Temple. C'était la croisade devenue fixe et permanente.
Associés aux Hospitaliers dans la défense des saints lieux, ils en
différaient en ce que la guerre était plus particulièrement le but de leur
institution. Les uns et les autres rendaient les plus grands services. Quel
bonheur n'était-ce pas pour le pèlerin qui voyageait sur la route
poudreuse de Jaffa à Jérusalem, et qui croyait à tout moment voir
fondre sur lui les brigands arabes, de rencontrer un chevalier, de
reconnaître la secourable croix rouge sur le manteau blanc de l'ordre du
Temple! En bataille, les deux ordres fournissaient alternativement
l'avant-garde et l'arrière-garde. On mettait au milieu les croisés
nouveaux venus et peu habitués aux guerres d'Asie. Les chevaliers les

entouraient, les protégeaient, dit fièrement un des leurs, comme une
mère son enfant[20]. Ces auxiliaires passagers reconnaissaient
ordinairement assez mal ce dévouement. Ils servaient moins les
chevaliers qu'ils ne les embarrassaient. Orgueilleux et fervents à leur
arrivée, bien sûrs qu'un miracle allait se faire exprès pour eux, ils ne
manquaient pas de rompre les trêves; ils entraînaient les chevaliers dans
des périls inutiles, se faisaient battre, et partaient, leur laissant le poids
de la guerre et les accusant de les avoir mal soutenus. Les Templiers
formaient l'avant-garde à Mansourah, lorsque ce jeune fou
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