Histoire de France 1180-1304 | Page 3

Jules Michelet
sa naissance, avant la conception toutes les douleurs du coeur maternel. La Vierge aussi a eu sa passion; c'est elle, c'est la femme qui a restaur�� le g��nie allemand. Le mysticisme s'est r��veill�� par les b��guines d'Allemagne et des Pays-Bas[6]. Les chevaliers, les nobles minnesinger chantaient la femme r��elle, la gracieuse ��pouse du landgrave de Thuringe, tant (p. 007) c��l��br��e aux combats po��tiques de la Wartbourg. Le peuple adorait la femme id��ale; il fallait un Dieu-femme �� cette douce Allemagne. Chez ce peuple, le symbole du myst��re est la rose; simplicit�� et profondeur, r��veuse enfance d'un peuple �� qui il est donn�� de ne pas vieillir, parce qu'il vit dans l'infini, dans l'��ternel.
[Note 6: Math. Paris: ?In Alemannia mulierum continentium, qu? se Beguinas volunt appellari, multitudo surrexit innumerabilis, adeo ut solam Coloniam mille vel plures inhabitarent.?--Beghin, du saxon beggen, dans Ulphilas bedgan (en allem. beten), prier.]
Ce g��nie mystique devait s'��teindre, ce semble, en descendant l'Escaut et le Rhin, en tombant dans la sensualit�� flamande et l'industrialisme des Pays-Bas. Mais l'industrie elle-m��me avait cr���� l�� un monde d'hommes mis��rables et sevr��s de la nature, que le besoin de chaque jour renfermait dans les t��n��bres d'un atelier humide; laborieux et pauvres, m��ritants et d��sh��rit��s, n'ayant pas m��me en ce monde cette place au soleil que le bon Dieu semble promettre �� tous ses enfants, ils apprenaient par ou?-dire ce que c'��tait que la verdure des campagnes, le chant des oiseaux et le parfum des fleurs; race de prisonniers, moines de l'industrie, c��libataires par pauvret��, ou plus malheureux encore par le mariage et souffrant des souffrances de leurs enfants. Ces pauvres gens, tisserands la plupart, avaient bien besoin de Dieu; Dieu les visita au XIIe si��cle, illumina leurs sombres demeures, et les ber?a du moins d'apparitions et de songes. Solitaires et presque sauvages, au milieu des cit��s les plus populeuses du monde, ils embrass��rent le Dieu de leur ame, leur unique bien. Le Dieu des cath��drales, le Dieu riche des riches et des pr��tres, leur devint peu �� peu ��tranger. Qui voulait leur ?ter leur foi, ils se laissaient (p. 008) br?ler, pleins d'espoir et jouissant de l'avenir. Quelquefois aussi, pouss��s �� bout, ils sortaient de leurs caves, ��blouis du jour, farouches, avec ce gros et dur oeil bleu, si commun en Belgique, mal arm��s de leurs outils, mais terribles de leur aveuglement et de leur nombre. �� Gand, les tisserands occupaient vingt-sept carrefours, et formaient �� eux seuls un des trois membres de la cit��. Autour d'Ypres, au XIIIe et au XIVe si��cles, ils ��taient plus de deux cent mille.
Rarement l'��tincelle fanatique tombait en vain sur ces grandes multitudes. Les autres m��tiers prenaient parti, moins nombreux, mais gens forts, mieux nourris, rouges, robustes et hardis, de rudes hommes, qui avaient foi dans la grosseur de leurs bras et la pesanteur de leurs mains, des forgerons qui, dans une r��volte, continuaient de battre l'enclume sur la cuirasse des chevaliers; des foulons, des boulangers, qui p��trissaient l'��meute comme le pain; des bouchers qui pratiquaient sans scrupule leur m��tier sur les hommes. Dans la boue de ces rues, dans la fum��e, dans la foule serr��e des grandes villes, dans ce triste et confus murmure, il y a, nous l'avons ��prouv��, quelque chose qui porte �� la t��te: une sombre po��sie de r��volte. Les gens de Gand, de Bruges, d'Ypres, arm��s, enr��giment��s d'avance, se trouvaient, au premier coup de cloche, sous la banni��re du burgmeister; pourquoi? ils ne le savaient pas toujours, mais ils ne s'en battaient que mieux. C'��tait le comte, c'��tait l'��v��que, ou leurs gens qui en ��taient la cause. Ces Flamands n'aimaient pas trop les pr��tres; ils avaient stipul��, en 1193, dans les privil��ges de Gand, qu'ils destitueraient leurs (p. 009) cur��s et chapelains �� volont��.
Bien loin de l��, au fond des Alpes, un principe diff��rent amenait des r��volutions analogues. De bonne heure, les montagnards pi��montais, dauphinois, gens raisonneurs et froids, sous le vent des glaciers, avaient commenc�� �� repousser les symboles, les images, les croix, les myst��res, toute la po��sie chr��tienne. L��, point de panth��isme comme en Allemagne, point d'illuminisme comme aux Pays-Bas; pur bon sens, raison simple, solide et forte, sous forme populaire. D��s le temps de Charlemagne, Claude de Turin entreprit cette r��forme sur le versant italien; elle fut reprise, au XIIe si��cle, sur le versant fran?ais, par un homme de Gap ou d'Embrun, de ce pays qui fournit des ma?tres d'��cole �� nos provinces du sud-est. Cet homme, appel�� Pierre de Bruys, descendit dans le Midi, passa le Rh?ne, parcourut l'Aquitaine, toujours pr��chant le peuple avec un succ��s immense. Henri, son disciple, en e?t encore plus; il p��n��tra au nord jusque dans le Maine; partout la foule les suivait, laissant l�� le clerg��, brisant les croix, ne voulant plus de culte que la parole. Ces sectaires, r��prim��s un instant,
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