sa naissance, avant la conception toutes les douleurs du coeur maternel. La Vierge aussi a eu sa passion; c'est elle, c'est la femme qui a restauré le génie allemand. Le mysticisme s'est réveillé par les béguines d'Allemagne et des Pays-Bas[6]. Les chevaliers, les nobles minnesinger chantaient la femme réelle, la gracieuse épouse du landgrave de Thuringe, tant (p. 007) célébrée aux combats poétiques de la Wartbourg. Le peuple adorait la femme idéale; il fallait un Dieu-femme à cette douce Allemagne. Chez ce peuple, le symbole du mystère est la rose; simplicité et profondeur, rêveuse enfance d'un peuple à qui il est donné de ne pas vieillir, parce qu'il vit dans l'infini, dans l'éternel.
[Note 6: Math. Paris: ?In Alemannia mulierum continentium, qu? se Beguinas volunt appellari, multitudo surrexit innumerabilis, adeo ut solam Coloniam mille vel plures inhabitarent.?--Beghin, du saxon beggen, dans Ulphilas bedgan (en allem. beten), prier.]
Ce génie mystique devait s'éteindre, ce semble, en descendant l'Escaut et le Rhin, en tombant dans la sensualité flamande et l'industrialisme des Pays-Bas. Mais l'industrie elle-même avait créé là un monde d'hommes misérables et sevrés de la nature, que le besoin de chaque jour renfermait dans les ténèbres d'un atelier humide; laborieux et pauvres, méritants et déshérités, n'ayant pas même en ce monde cette place au soleil que le bon Dieu semble promettre à tous ses enfants, ils apprenaient par ou?-dire ce que c'était que la verdure des campagnes, le chant des oiseaux et le parfum des fleurs; race de prisonniers, moines de l'industrie, célibataires par pauvreté, ou plus malheureux encore par le mariage et souffrant des souffrances de leurs enfants. Ces pauvres gens, tisserands la plupart, avaient bien besoin de Dieu; Dieu les visita au XIIe siècle, illumina leurs sombres demeures, et les ber?a du moins d'apparitions et de songes. Solitaires et presque sauvages, au milieu des cités les plus populeuses du monde, ils embrassèrent le Dieu de leur ame, leur unique bien. Le Dieu des cathédrales, le Dieu riche des riches et des prêtres, leur devint peu à peu étranger. Qui voulait leur ?ter leur foi, ils se laissaient (p. 008) br?ler, pleins d'espoir et jouissant de l'avenir. Quelquefois aussi, poussés à bout, ils sortaient de leurs caves, éblouis du jour, farouches, avec ce gros et dur oeil bleu, si commun en Belgique, mal armés de leurs outils, mais terribles de leur aveuglement et de leur nombre. à Gand, les tisserands occupaient vingt-sept carrefours, et formaient à eux seuls un des trois membres de la cité. Autour d'Ypres, au XIIIe et au XIVe siècles, ils étaient plus de deux cent mille.
Rarement l'étincelle fanatique tombait en vain sur ces grandes multitudes. Les autres métiers prenaient parti, moins nombreux, mais gens forts, mieux nourris, rouges, robustes et hardis, de rudes hommes, qui avaient foi dans la grosseur de leurs bras et la pesanteur de leurs mains, des forgerons qui, dans une révolte, continuaient de battre l'enclume sur la cuirasse des chevaliers; des foulons, des boulangers, qui pétrissaient l'émeute comme le pain; des bouchers qui pratiquaient sans scrupule leur métier sur les hommes. Dans la boue de ces rues, dans la fumée, dans la foule serrée des grandes villes, dans ce triste et confus murmure, il y a, nous l'avons éprouvé, quelque chose qui porte à la tête: une sombre poésie de révolte. Les gens de Gand, de Bruges, d'Ypres, armés, enrégimentés d'avance, se trouvaient, au premier coup de cloche, sous la bannière du burgmeister; pourquoi? ils ne le savaient pas toujours, mais ils ne s'en battaient que mieux. C'était le comte, c'était l'évêque, ou leurs gens qui en étaient la cause. Ces Flamands n'aimaient pas trop les prêtres; ils avaient stipulé, en 1193, dans les priviléges de Gand, qu'ils destitueraient leurs (p. 009) curés et chapelains à volonté.
Bien loin de là, au fond des Alpes, un principe différent amenait des révolutions analogues. De bonne heure, les montagnards piémontais, dauphinois, gens raisonneurs et froids, sous le vent des glaciers, avaient commencé à repousser les symboles, les images, les croix, les mystères, toute la poésie chrétienne. Là, point de panthéisme comme en Allemagne, point d'illuminisme comme aux Pays-Bas; pur bon sens, raison simple, solide et forte, sous forme populaire. Dès le temps de Charlemagne, Claude de Turin entreprit cette réforme sur le versant italien; elle fut reprise, au XIIe siècle, sur le versant fran?ais, par un homme de Gap ou d'Embrun, de ce pays qui fournit des ma?tres d'école à nos provinces du sud-est. Cet homme, appelé Pierre de Bruys, descendit dans le Midi, passa le Rh?ne, parcourut l'Aquitaine, toujours prêchant le peuple avec un succès immense. Henri, son disciple, en e?t encore plus; il pénétra au nord jusque dans le Maine; partout la foule les suivait, laissant là le clergé, brisant les croix, ne voulant plus de culte que la parole. Ces sectaires, réprimés un instant,
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