Histoire de France 1180-1304 | Page 7

Jules Michelet
Genèse: «En quelque jour que vous mangiez de
l'arbre de la science du bien et du mal, vous mourrez de mort;» et
pourtant, disaient-ils, après en avoir mangé, ils ne sont pas morts. Ils le
traitaient aussi d'homicide, pour avoir réduit en cendres ceux de
Sodome et de Gomorrhe, et détruit le monde par les eaux du déluge,
pour avoir enseveli sous la mer Pharaon et les Égyptiens. Ils croyaient
damnés tous les pères de l'Ancien Testament, et mettaient saint
Jean-Baptiste au nombre des grands démons. Ils disaient même entre
eux que ce Christ qui naquit dans la Bethléem terrestre et visible et fut
crucifié à Jérusalem, n'était qu'un faux Christ; que Marie Madeleine
avait été sa concubine, et que c'était là cette femme surprise en adultère

dont il est parlé dans l'Évangile. Pour le Christ, disaient-ils, jamais il ne
mangea ni ne but, ni ne revêtit de corps réel, et ne fut jamais en ce
monde que spirituellement au corps de saint Paul.
«D'autres hérétiques disaient qu'il n'y a qu'un créateur, mais qu'il eut
deux fils, le Christ et le Diable. Ceux-ci disaient que toutes les
créatures avaient été bonnes, mais que ces filles dont il est parlé dans
l'Apocalypse les avaient toutes corrompues.
«Tous ces infidèles, membres de l'Antechrist, premiers-nés de Satan,
semence de péché, enfants de crime, à la langue hypocrite, séduisant
par des mensonges le coeur des simples, avaient infecté du venin de
leur perfidie toute la province de Narbonne. Ils disaient que l'Église
romaine n'était guère qu'une caverne de voleurs, et cette prostituée dont
parle l'Apocalypse. Ils annulaient les sacrements de l'Église à ce point
qu'ils enseignaient publiquement que l'onde du sacré baptême ne diffère
point de l'eau des fleuves, et que l'hostie du très-saint corps du Christ
n'est rien de plus que le pain laïque; insinuant aux oreilles des simples
ce blasphème horrible, que le corps du Christ, fût-il aussi grand que les
Alpes, il serait depuis longtemps consommé et réduit à rien par tous
ceux qui en ont mangé. La confirmation, la confession, étaient choses
vaines et frivoles; le saint mariage une prostitution, et nul ne pouvait
être sauvé dans cet état, en engendrant fils et filles. Niant aussi la
résurrection de la chair, ils forgeaient je ne sais quelles fables inouïes,
disant que nos âmes sont ces esprits angéliques qui, précipités du ciel
pour leur présomptueuse apostasie, laissèrent dans l'air leur corps
glorieux, et que ces âmes, après avoir passé successivement sur la terre
par sept corps quelconques, retournent, l'expiation ainsi terminée,
reprendre leurs premiers corps.
«Il faut savoir en outre que quelques-uns de ces hérétiques s'appelaient
Parfaits ou Bons hommes; les autres s'appelaient les Croyants. Les
Parfaits portaient un habillement noir, feignaient de garder la chasteté,
repoussaient avec horreur l'usage des viandes, des oeufs, du fromage;
ils voulaient passer pour ne jamais mentir, tandis qu'ils débitaient sur
Dieu principalement, un mensonge perpétuel; ils disaient encore que
pour aucune raison on ne devait jurer. On appelait Croyants ceux qui,

vivant dans le siècle, et sans chercher à imiter la vie des Parfaits,
espéraient pourtant être sauvés dans la foi de ceux-ci; ils étaient divisés
par le genre de vie, mais unis dans la loi et l'infidélité. Les Croyants
étaient livrés à l'usure, au brigandage, aux homicides et aux plaisirs de
la chair, aux parjures et à tous les vices. En effet, ils péchaient avec
toute sécurité et toute licence, parce qu'ils croyaient que sans restitution
du bien mal acquis, sans confession ni pénitence, ils pouvaient se
sauver, pourvu qu'à l'article de la mort ils pussent dire un Pater, et
recevoir de leurs maîtres l'imposition des mains. Les hérétiques
prenaient parmi les Parfaits des magistrats qu'ils appelaient diacres et
évêques; les Croyants pensaient ne pouvoir se sauver s'ils ne recevaient
d'eux en mourant l'imposition des mains. S'ils imposaient les mains à
un mourant, quelque criminel qu'il fût, pourvu qu'il pût dire un Pater ils
le croyaient sauvé, et, selon leur expression, consolé; sans faire aucune
satisfaction et sans autre remède, il devait s'envoler tout droit au ciel.
«..... Certains hérétiques disaient que nul ne pouvait pécher depuis le
nombril et plus bas. Ils traitent d'idolâtrie les images qui sont dans les
églises, et appelaient les cloches, les trompettes du démon. Ils disaient
encore que ce n'était pas un plus grand péché de dormir avec sa mère
ou sa soeur qu'avec tout autre. Une de leurs plus grandes folies, c'était
de croire que si quelqu'un des Parfaits péchait mortellement, en
mangeant, par exemple, tant soit peu de viande, ou de fromage, ou
d'oeufs, ou de toute autre chose défendue, tous ceux qu'il avait consolés
perdaient l'Esprit-Saint, et il fallait les consoler; et ceux même qui
étaient sauvés, le péché du consolateur les faisait tomber du ciel.»
«Il y avait encore d'autres hérétiques appelés Vaudois, du nom
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