registre
longtemps perdu, restitué au Trésor des Chartes, en 1748. Cependant ce
registre n'y existe point aujourd'hui, comme je m'en suis assuré.]
La noblesse eût dû, ce semble, tenir mieux contre les nouveautés. Mais
ici, ce n'était point cette chevalerie du Nord, ignorante et pieuse, qui
pouvait encore prendre la croix en 1200. Ces nobles du Midi étaient des
gens d'esprit qui savaient bien la plupart que penser de leur noblesse. Il
n'y en avait guère qui, en remontant un peu, ne rencontrassent dans leur
généalogie quelque grand'mère sarrasine (p. 013) ou juive. Nous avons
déjà vu qu'Eudes, l'ancien duc d'Aquitaine, l'adversaire de Charles
Martel, avait donné sa fille à un émir sarrasin. Dans les romans
carlovingiens, les chevaliers chrétiens épousent sans scrupule leur belle
libératrice, la fille du sultan. À dire vrai, dans ce pays de droit romain,
au milieu des vieux municipes de l'Empire, il n'y avait pas précisément
de nobles, ou plutôt tous l'étaient; les habitants des villes, s'entend. Les
villes constituaient une sorte de noblesse à l'égard des campagnes. Le
bourgeois avait, tout comme le chevalier, sa maison fortifiée et
couronnée de tours. Il paraissait dans les tournois[12], et souvent
désarçonnait le noble qui n'en faisait que rire.
[Note 12: Dans les Preuves de l'Histoire générale du Languedoc, t. III,
p. 607, on trouve une attestation de plusieurs Damoisels (Domicelli),
chevaliers, juristes, etc. «Quod usus et consuetudo sunt et fuerunt
longissimis temporibus observati, et tanto tempore quod in contrarium
memoria non exstitit in senescallia Belliquadri et in Provincia, quod
Burgenses consueverunt a nobilibus et baronibus et etiam ab
archiepiscopis et episcopis, sine principis auctoritate et licentia, impune
cingulum militare assumere, et signa militaria habere et portare, et
gaudere privilegio militari.»--Chron. Languedoc. ap. D. Vaissète.
Preuves de l'Histoire du Languedoc.» Ensuite parla un autre baron
appelé Valats, et il dit au comte: «Seigneur, ton frère te donne un bon
conseil (le conseil d'épargner les Toulousains), et si tu me veux croire,
tu feras ainsi qu'il t'a dit et montré; car, Seigneur, tu sais bien que la
plupart sont gentilshommes, et par honneur et noblesse, tu ne dois pas
faire ce que tu as délibéré.»]
Si l'on veut connaître ces nobles, qu'on lise ce qui reste de Bertrand de
Born, cet ennemi juré de la paix, ce Gascon qui passa sa vie à souffler
la guerre et à la chanter. Bertrand donne au fils (p. 014) d'Éléonore de
Guienne, au bouillant Richard, un sobriquet: Oui et non[13]. Mais ce
nom lui va fort bien à lui-même et à tous ces mobiles esprits du Midi.
[Note 13: Oc et non.]
Gracieuse, mais légère, trop légère littérature, qui n'a pas connu d'autre
idéal que l'amour, l'amour de la femme. L'esprit scolastique et légiste
envahit dès leur naissance les fameuses cours d'Amour. Les formes
juridiques y étaient rigoureusement observées dans la discussion des
questions légères de la galanterie[14]. Pour être pédantesques, les
décisions n'en étaient pas moins immorales. La belle comtesse de
Narbonne, Ermengarde (1143-1197), l'amour des poètes et des rois,
décide dans un arrêt conservé religieusement, que l'époux divorcé peut
fort bien redevenir l'amant de sa femme mariée à un autre. Éléonore de
Guienne prononce que le véritable amour ne peut exister entre époux;
elle permet de prendre pour quelque temps une autre amante afin
d'éprouver la première. La comtesse de Flandre, princesse de la maison
d'Anjou (vers 1134), la comtesse de Champagne, fille d'Éléonore,
avaient institué de pareils tribunaux dans le nord de la France; et
probablement ces contrées, qui prirent part à la croisade des Albigeois,
avaient été médiocrement édifiées de la (p. 015) jurisprudence des
dames du Midi.
[Note 14: Raynouard, poésies des Troubadours, II, p. 122. La cour
d'Amour était organisée sur le modèle des tribunaux du temps. Il en
existait encore une sous Charles VI, à la cour de France; on y
distinguait des auditeurs, des maîtres des requêtes, des conseillers, des
substituts du procureur général, etc., etc.; mais les femmes n'y
siégeaient pas.]
Un mot sur la situation politique du Midi. Nous en comprendrons
d'autant mieux sa révolution religieuse.
Au centre, il y avait la grande cité de Toulouse, république sous un
comte. Les domaines de celui-ci s'étendaient chaque jour. Dès la
première croisade, c'était le plus riche prince de la chrétienté. Il avait
manqué la royauté de Jérusalem, mais pris Tripoli. Cette grande
puissance était, il est vrai, fort inquiétée. Au nord, les comtes de
Poitiers, devenus rois d'Angleterre, au midi la grande maison de
Barcelone, maîtresse de la Basse-Provence et de l'Aragon, traitaient le
comte de Toulouse d'usurpateur, malgré une possession de plusieurs
siècles. Ces deux maisons de Poitiers et de Barcelone avaient la
prétention de descendre de saint Guilhem, le tuteur de Louis le
Débonnaire, le vainqueur des Maures, celui dont le fils Bernard avait
été proscrit par Charles le Chauve. Les comtes
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