Histoire comique | Page 2

Anatole France
dont la l��vre est distendue par une rondelle d'acajou grande comme ce pot de pommade. Mais la d��vastation est enti��re quand la femme exerce ses ravages dans le centre sacr�� de son empire.
Insistant sur un sujet qui lui tenait �� coeur, il reprit une �� une les d��formations du squelette et des muscles caus��es par le corset, et fit des descriptions imag��es et pr��cises, des peintures lugubres et bouffonnes. Nanteuil riait en l'��coutant. Elle riait parce que, ��tant femme, elle avait du penchant �� rire des laideurs et des mis��res physiques, parce que, rapportant tout �� son petit monde d'artistes, chaque difformit�� d��crite par le docteur lui rappelait une camarade du th��atre et s'imprimait dans son esprit en caricature, et parce que, se sachant bien faite, elle se r��jouissait de son jeune corps, en se repr��sentant toutes ces disgraces de la chair. Riant d'un rire clair, elle allait par la loge vers le docteur, entra?nant madame Michon, qui tenait les lacets comme des r��nes, avec un air de sorci��re emport��e au sabbat.
--Restez donc tranquille! fit-elle.
Et elle objecta que les femmes de la campagne, qui ne mettaient pas de corset, ��taient encore plus ab?m��es que les femmes de la ville.
Le docteur reprocha am��rement aux civilisations occidentales leur m��pris et leur ignorance de la beaut�� vivante.
Trublet, n�� dans l'ombre des tours de Saint-Sulpice, ��tait all��, jeune, exercer la m��decine au Caire. Il en avait rapport�� un peu d'argent, une maladie de foie et la connaissance des moeurs diverses des hommes. En son age m?r, de retour au pays natal, il ne quittait plus gu��re sa vieille rue de Seine et prenait grand plaisir �� vivre, un peu triste seulement de voir ses contemporains si malhabiles �� se reconna?tre dans le d��plorable malentendu qui, voil�� dix-huit si��cles, brouilla l'humanit�� avec la nature.
On frappa; une voix de femme cria du couloir:
--C'est moi!
F��licie, tandis qu'elle passait sa jupe rose, pria le docteur d'ouvrir la porte. Madame Doulce entra, pesante, laissant �� l'abandon son corps massif, qu'elle avait su longtemps rassembler sur la sc��ne, et tendre �� la dignit�� des m��res nobles.
--Bonjour, mignonne. Bonjour, docteur... Tu sais, F��licie, je ne suis pas complimenteuse. Eh bien! je t'ai vue avant-hier et je t'assure que dans le ?deux? de la M��re confidente tu fais des choses tr��s bien et qui ne sont pas faciles.
Nanteuil sourit des yeux, et, comme il arrive toujours quand on re?oit un compliment, elle en attendit un autre.
Madame Doulce, invit��e par le silence de Nanteuil, murmura de nouvelles louanges:
--... des choses excellentes, des choses personnelles.
--Vous trouvez, madame Doulce? Tant mieux! parce que je ne sens pas bien ce r?le-l��. Et puis la grande Perrin m'?te tous mes moyens. C'est vrai! quand je m'assois sur les genoux de cette femme-l��, ?a me fait un effet... Vous ne savez pas toutes les horreurs qu'elle me dit �� l'oreille pendant que nous sommes en sc��ne. Elle est enrag��e... Je comprends tout, mais il y a des choses qui me d��go?tent... Michon, est-ce que le corsage ne fronce pas dans le dos, �� droite?
--Ma ch��re enfant, s'��cria Trublet avec enthousiasme, vous venez de prononcer une parole admirable.
--Laquelle? demanda simplement Nanteuil.
--Vous avez dit: ?Je comprends tout, mais il y a des choses qui me d��go?tent.? Vous comprenez tout; les actions et les pens��es des hommes vous apparaissent comme des cas particuliers de la m��canique universelle, vous n'en concevez ni col��re ni haine. Mais il y a des choses qui vous d��go?tent; vous avez de la d��licatesse, et il est bien vrai que la morale est affaire de go?t. Mon enfant, je voudrais qu'on pensat aussi sainement que vous �� l'Acad��mie des Sciences morales. Oui, vous avez raison. Les instincts que vous attribuez �� votre camarade, il est aussi vain de les lui reprocher que de reprocher �� l'acide lactique d'��tre un acide �� fonctions mixtes.
--Qu'est-ce que vous dites?
--Je dis que nous ne pouvons plus louer ni blamer aucune pens��e, aucune action humaine, une fois que la n��cessit�� de ces actions et de ces pens��es nous est d��montr��e.
--Alors, vous approuvez les moeurs de la grande Perrin, vous, un homme d��cor��! C'est du propre!
Le docteur se souleva et dit:
--Mon enfant, pr��tez-moi, je vous prie, un moment d'attention. Je vais vous faire un r��cit instructif:
?Autrefois, la nature humaine ��tait diff��rente de ce qu'elle est aujourd'hui. Il y avait non seulement des hommes et des femmes, mais aussi des androgynes, c'est-��-dire des ��tres qui r��unissaient en eux les deux sexes. Ces trois sortes d'hommes avaient quatre bras, quatre jambes et deux visages. Ils ��taient robustes et tournaient rapidement sur eux-m��mes comme des roues. Leur force leur inspira l'audace de combattre les dieux �� l'exemple des G��ants. Jupiter, ne pouvant souffrir une telle insolence...
--Michon, est-ce que la jupe ne tra?ne pas trop �� gauche? demanda Nanteuil.
--... r��solut, poursuivit le docteur, de les rendre moins
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