des écoles primaires,
faisait monter une nausée aux lèvres de l'honnête femme.
Tout à coup, Armand entra, son portefeuille d'étudiant sous le bras,
insoucieux, léger, une belle flamme de jeunesse dans les yeux, et,
surpris de trouver sa mère chez lui:
--Tiens! tu es ici! s'écria-t-il joyeusement. Bonjour, maman.
Mais Mme Bernard s'était levée, raide, toute pâle. Elle jeta la lettre
d'Henriette sur le bureau, la montra à son fils d'un doigt frémissant; et,
d'une voix qu'il ne lui connaissait pas, d'une voix sonnant le métal et
chargée d'insulte et de colère:
--J'ai lu, dit-elle. Une autre fois, aie soin de ne pas laisser traîner les
lettres de ta maîtresse.
Elle ajouta encore, comme suffoquant:
--Une pareille fille!
Et, laissant le jeune homme stupéfait et pourpre de honte, la mère
irritée sortit en faisant claquer la porte.
V
Pourtant ces pauvres enfants étaient bien excusables.
Tout comme sa mère, Armand, quand il traversait le petit salon, s'était
intéressé à ce gentil profil, qui s'inclinait légèrement pour le saluer.
Mais il n'avait pas vu, l'innocent qu'il était, le regard vite détourné, mais
si tendre, qu'on lui jetait au passage, ni la rougeur qui montait alors au
visage de l'ouvrière. Quant à elle, la première fois qu'elle avait aperçu
Armand,--oh! du premier choc, sans se défendre,--elle était tombée
amoureuse de lui, et ce beau et fin jeune homme, aux gestes
harmonieux, aux yeux si ardents et si doux, lui était apparu comme un
être d'une essence supérieure. Henriette était sage, non pas ignorante.
Dès l'apprentissage, les conversations entre camarades l'avaient
instruite. Mais jamais son désir n'eût été assez audacieux pour s'élever
jusqu'à l'objet de son naissant amour.
A ses yeux, Armand était un «riche», un de ceux que les pauvres ne
peuvent connaître, ne voient que de loin. Elle était sûre qu'il avait une
«bonne amie», car on ne suppose pas, au faubourg, qu'un homme
puisse demeurer pur jusqu'à vingt ans;--mais celle qu'il aimait devait
être une femme de son monde, une «belle dame», et, sans la connaître,
mais ne doutant pas de son existence, Henriette la trouvait bien
heureuse et lui enviait la joie de passer ses doigts chargés de bagues
dans la noire et rebelle chevelure, toujours un peu en désordre, du jeune
patricien. Elle, la pauvre fille! devait se contenter de l'admirer à
distance, respectueusement. Quand il lui disait en passant: «Bonjour,
mademoiselle», c'était quelque chose d'exquis qu'Henriette sentait se
fondre dans son coeur. Mais s'imaginer qu'elle pût fixer l'attention
d'Armand, lui paraître jolie!... Non! elle n'était pas si folle.
Il la trouvait délicieuse. Il était entraîné vers elle par toutes ses
curiosités, toutes ses ardeurs d'ingénu en qui venait d'éclater et de
s'épanouir avec violence la fleur intacte du désir. Sans doute, il était
resté chaste, n'ayant connu ni les turpitudes des dortoirs de collège, ni
les brutales initiations de la Cythère vénale. Mais l'heure de la crise
avait sonné. A la seule pensée que cette charmante fille était là, sous le
même toit que lui, Armand succombait sous le poids d'une soudaine
langueur, devenait incapable de tout travail. Laissant brusquement ses
livres ouverts, il trouvait hypocritement pour lui-même un prétexte de
circuler dans l'appartement, de traverser la pièce où se tenait Henriette
assise et cousant, de l'envelopper d'un rapide regard, de recevoir l'éclair
fugitif de ses yeux. Puis il rentrait dans sa chambre d'étudiant, se jetait
avec fatigue sur son canapé et restait là, accablé, le front chaud, les
mains inquiètes, avec des bâillements et des envies de pleurer.
Mieux informée sur la vie, Henriette finit par s'apercevoir du trouble du
jeune homme en sa présence. Était-ce possible? Elle lui plaisait! Ce
«petit monsieur», si délicat, si «mignon», comme elle se le disait en
pensée dans son langage populaire, cet Armand qui lui semblait être
d'une autre race qu'elle-même, qui lui faisait l'effet d'une sorte de
demi-dieu, daignait prendre garde à elle! Dans son humilité sincère,
elle en fut d'abord toute confuse. Puis une tendresse infinie inonda son
coeur.
Ah! Armand n'avait qu'à faire un signe. Tout ce qu'il voudrait, tout de
suite! Très simple, purement instinctive, elle ignorait la coquetterie, les
manèges d'amour. Oui! sur un clin d'oeil, elle était prête à s'offrir, elle
et sa jeunesse fleurie, prête à donner son coeur surtout, au fond duquel
elle sentait une force mystérieuse, irrésistible, qui la soulevait, qui la
poussait dans les bras d'Armand. Déjà, elle se reprochait de ne pas lui
faire les premières avances. Elle le voyait si timide, elle aurait voulu
l'encourager. Mais elle ne pouvait vaincre un reste obstiné de pudeur.
C'eût été si facile pourtant de répondre au regard d'Armand par un
regard, à son sourire par un sourire. La sotte! Maintenant, quand il
passait près d'elle, elle n'avait même plus le courage de lever la tête. De
sorte que les jours et les
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