Henri IV | Page 7

William Shakespeare
pas à notre tour, je
veux que vous m'abattiez la tête de dessus les épaules.
HENRI.--Mais comment ferons-nous pour nous séparer d'eux au
moment du départ?
POINS.--Quoi! nous ne partirons qu'avant ou après eux, et nous leur
fixerons un rendez-vous, auquel nous serons les maîtres de manquer.
Alors ils s'aventureront tout seuls à faire cet exploit, et ils ne l'auront
pas plutôt accompli, que nous tomberons sur eux.
HENRI.--Oui, mais il est probable qu'ils nous reconnaîtront à nos
chevaux, à nos habits, enfin à toutes sortes d'indices.
POINS.--Bah! d'abord ils ne verront pas nos chevaux, je les attacherai
dans le bois; nous changerons de masques dès que nous les aurons
quittés; et de plus, mon cher, j'ai pour l'occasion, des fourreaux de
bougran dont nous couvrirons nos vêtements qu'en effet ils connaissent.
HENRI.--Mais j'ai peur aussi qu'ils ne soient trop forte partie pour
nous.
POINS.--Oh! pour cela, il y en a deux dont je réponds comme des plus
fieffés poltrons qui aient jamais tourné le dos; et pour le troisième, s'il
se bat plus longtemps que de raison, je renonce au métier des
armes.--Le bon de cette plaisanterie sera d'entendre après les
inconcevables mensonges que nous débitera ce gros coquin, lorsque
nous nous retrouverons à souper: comme quoi il s'est battu avec une
trentaine au moins, quelles parades il a faites, quels coups il a allongés,
quels dangers il a courus; notre divertissement sera de le mettre en
défaut.
HENRI.--En bien, j'irai avec toi; va nous préparer tout ce qui est
nécessaire, et puis retrouve-toi ce soir à Eastcheap; j'y souperai, adieu.

POINS.--Adieu, mon prince.
(Il sort.)
HENRI.--Je vous connais tous; et veux bien pour un temps favoriser les
caprices déréglés de votre oisiveté. En cela je continuerai à imiter le
soleil qui permet quelquefois aux nuages impurs et contagieux de
dérober sa beauté à l'univers, afin que lorsqu'il lui plaira de redevenir
lui-même, le monde, après en avoir été privé, le voie avec plus
d'admiration reparaître tout à coup à travers les noires et hideuses
vapeurs qui avaient paru le suffoquer. Si l'année entière se passait en
jours de congé, les jeux seraient bientôt aussi ennuyeux que le travail.
Mais quand ils ne viennent que de temps à autre, ils reviennent toujours
désirés; rien ne plaît que ce qui n'arrive pas communément. Ainsi
quand je rejetterai ces habitudes déréglées, et que je payerai la dette que
je n'ai jamais reconnue, autant mes promesses auront été au-dessous de
ma conduite, autant je tromperai l'attente des hommes; et telle qu'un
métal brillant sur un fond obscur, ma réforme, dont l'éclat sera rehaussé
par mes fautes, paraîtra plus méritoire, et attirera plus de regards que le
mérite qu'aucune tache ne fait ressortir. Ainsi je veux faillir de manière
à me servir habilement de mes fautes, lorsque ensuite je regagnerai le
temps perdu au moment où on y comptera le moins.
(Il sort.)
SCÈNE III
Autre appartement du palais.
Entrent LE ROI HENRI, NORTHUMBERLAND, WORCESTER,
HOTSPUR, SIR W. BLOUNT et autres personnages.
LE ROI.--Mon sang a été trop calme et trop froid, de ne pas bouillir à
cet indigne affront: c'est ainsi que vous avez pensé, et en conséquence
vous foulez ma patience aux pieds. Mais soyez bien sûrs que désormais
je serai ce que je suis par mon rang puissant et redoutable, plutôt que de
me livrer à mon caractère, qui a été jusqu'ici coulant comme l'huile,
doux comme un jeune duvet, et m'a fait perdre ainsi mes titres au

respect que les âmes orgueilleuses ne rendent jamais qu'aux
orgueilleux.
WORCESTER.--Notre maison, mon souverain, n'a guère mérité qu'on
déployât sur elle la verge du pouvoir, de ce même pouvoir que nos
propres mains ont aidé à devenir si imposant.
NORTHUMBERLAND.--Seigneur...
LE ROI.--Worcester, va-t'en: car je vois dans tes yeux l'audace de la
désobéissance.--Oh! monsieur! votre maintien est trop arrogant, trop
impérieux, et la majesté royale ne se laisserait pas plus longtemps
insulter par le froncement de sourcils d'un serviteur. Vous avez toute
liberté de vous retirer: quand nous aurons besoin de vos services et de
vos conseils, nous vous ferons appeler. (Worcester sort.--A
Northumberland.) Vous vouliez parler.
NORTHUMBERLAND.--Oui, mon bon seigneur: ces prisonniers,
demandés au nom de Votre Altesse, et que Henri Percy a faits ici près
de Holmedon, n'ont pas été, à ce qu'il assure, refusés d'une manière
aussi positive qu'on l'a rapporté à Votre Majesté. C'est donc à l'envie,
ou bien à une méprise, qu'on doit attribuer cette faute, et non pas à mon
fils.
HOTSPUR.--Mon souverain, je n'ai point refusé de prisonniers; mais je
me rappelle que, le combat fini, au moment où je me sentais desséché
par les fureurs de l'action et l'excès de la fatigue; lorsque, faible et hors
d'haleine, je m'appuyais sur mon épée, il vint à moi un certain lord,
propre, élégamment paré, frais comme un marié,
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