Henri IV | Page 2

William Shakespeare
genre: il n'a point adopté la grossièreté des situations où le rabaissent ses vices; il leur a tout livré, excepté son amour-propre; il ne s'est point fait un mérite de sa crapule, il n'a point mis sa vanité dans les exploits d'un bandit: les manières et les qualités d'un gentilhomme, c'est encore à cela qu'il tiendrait s'il pouvait tenir à quelque chose; c'est à cela qu'il prétendrait s'il lui était permis d'avoir, ou possible de soutenir une prétention. Du moins veut-il se donner le plaisir de les affecter toutes, d?t ce plaisir lui valoir un affront; sans y croire, sans espérer qu'on le croie, il faut à tout prix qu'il réjouisse ses oreilles de l'éloge de sa bravoure, presque de ses vertus. C'est là une de ses faiblesses, comme le go?t du vin d'Espagne est une tentation à laquelle il ne lui est pas plus possible de résister, et la na?veté avec laquelle il cède, les embarras où elle le met, l'espèce d'imprudence hypocrite qui l'aide à s'en tirer, en l'ont un personnage extraordinairement plaisant. Les jeux de mots, bien que fréquents dans cette pièce, y sont beaucoup moins nombreux que dans quelques autres drames d'un genre plus sérieux, et ils y sont infiniment mieux placés. Le mélange de subtilité, que Shakspeare devait à l'esprit de son temps, n'empêche pas que dans cette pièce, ainsi que dans celles où repara?t Falstaff, la gaieté ne soit peut-être plus franche et plus naturelle que dans aucun autre ouvrage du théatre anglais.
La première partie de Henri IV parut, selon Malone, en 1597. Chalmers et Drake croient qu'elle fut écrite en 1596; mais leur opinion, à cet égard, ne s'appuie sur aucun témoignage sérieux. Ce qu'il y a de bien positif, c'est que cette pièce fut écrite avant 1598, car Meres la cite dans cette même année parmi les oeuvres de Shakspeare.

HENRI IV
TRAGéDIE
PREMIèRE PARTIE.

PERSONNAGES
LE ROI HENRI IV. HENRI, prince de Galles, } fils du JEAN, prince de Lancastre, } roi. LE COMTE DE WESTMORELAND, } partisans SIR WALTER BLOUNT, } du roi. THOMAS PERCY, comte de Worcester. HENRI PERCY, comte de Northumberland. HENRI PERCY, surnommé HOTSPUR, son fils. EDMOND MORTIMER, comte de la Marche. SCROOP, archevêque d'York. ARCHIBALD, comte de Douglas. OWEN GLENDOWER. SIR RICHARD VERNON. SIR JEAN FALSTAFF. POINS. GADSHILL. PETO BARDOLPHE. LADY PERCY, femme de Hotspur, soeur de Mortimer. LADY MORTIMER, fille de Glendower, et femme de Mortimer. QUICKLY, h?tesse d'une taverne à East-Cheap.
Lords, officiers, shérif, cabaretier, gar?on de chambre, gar?ons de cabaret, deux voituriers, voyageurs, suite.

La scène est en Angleterre.

ACTE PREMIER
SCèNE I
Un appartement dans le palais.
Entrent LE ROI HENRI, WESTMORELAND, SIR WALTER BLOUNT et d'autres.
LE ROI.--ébranlés et épuisés par les soucis comme nous le sommes, tachons de trouver un moment où la paix effrayée puisse reprendre haleine, et nous annoncer d'une voix entrecoupée les nouvelles luttes que nous devons aller soutenir sur de lointains rivages... Les abords[1] de cette terre altérée ne verront plus ses lèvres teintes du sang de ses propres enfants. La terre ne sillonnera plus son sein de tranchées, n'écrasera plus ses fleurs sous les pieds ferrés de coursiers ennemis. Ces yeux irrités qui naguère comme les météores d'un ciel orageux, tous d'une même nature, tous formés de la même substance, se venaient rencontrer dans le choc des partis livrés à la guerre intestine et dans la mêlée furieuse des massacres civils formeront maintenant des rangs unis et bien ordonnés, ils se dirigeront tous vers un même but, et ne combattront plus leurs connaissances, leurs parents, leurs alliés. Le tranchant de la guerre ne viendra plus comme un couteau mal rengainé couper son propre ma?tre. Maintenant donc, mes amis, soldat du Christ, enr?lé sous sa croix sainte, pour laquelle nous nous sommes tous engagés à combattre, nous allons conduire jusqu'à son sépulcre une armée d'Anglais dont les bras furent formés dans le sein de leur mère pour aller poursuivre les pa?ens sur les plaines saintes que foulèrent ses pieds divins, cloués, il y a quatorze cents ans, pour notre avantage, sur le bois amer de la croix. Mais ce projet existe depuis un an, et je n'ai pas besoin de vous le dire: cela sera, donc ce n'est pas encore aujourd'hui que nous nous rassemblons pour le départ. Maintenant, Westmoreland, mon cher cousin, rendez-moi compte de ce qui fut arrêté hier au soir dans notre conseil, pour hater une expédition si chère.
[Note 1:
No more the thirsty entrance of this soil Shall daub her lips with her own children's blood.
Les commentateurs, à qui cette phrase a paru trop difficile à expliquer, ont supposé quelque corruption dans le texte et ont substitué le mot Erinnys au mot entrance, qu'on trouve dans les premières éditions. La correction ne para?t pas heureuse. Shakspeare, dans ses pièces tirées de l'histoire moderne, use rarement des images de l'ancienne mythologie, et celle-ci ne serait nullement
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