sur une sarbacane et sur le bras de
Saint-M‚grin
Allons, allons, courage, Joyeuse! Voil… enfin notre sorcier...Vive Dieu! mon pŠre, il
faut avoir des jambes de chamois et des yeux de chat-huant pour arriver jusqu'… vous.
RUGGIERI
L'aigle bƒtit son aire … la cime des rochers pour y voir de plus loin.
JOYEUSE, s'‚tendant dans un fauteuil
Oui; mais on voit clair pour y arriver, au moins.
SAINT-MEGRIN
Allons, allons, messieurs, il est probable que le savant Ruggieri ne comptait pas sur notre
visite. Sans cela, nous aurions trouv‚ l'antichambre mieux ‚clair‚e...
RUGGIERI
Vous vous trompez, comte de Saint-M‚grin. Je vous attendais...
D'EPERNON
Tu lui avais donc ‚crit?
SAINT-MEGRIN
Non, sur mon ƒme; je n'en ai parl‚ … personne...
D'EPERNON, … Joyeuse
Et toi?
JOYEUSE
Moi? Tu sais que je n'‚cris que quand j'y suis forc‚...Cela me fatigue.
RUGGIERI
Je vous attendais, messieurs, et je m'occupais de vous.
SAINT-MEGRIN
En ce cas, tu sais ce qui nous amŠne.
RUGGIERI
Oui.
(D'Epernon et Saint-M‚grin se rapprochent de lui. Joyeuse se rapproche aussi, mais sans
se lever de son fauteuil)
D'EPERNON
Alors toutes tes sorcelleries sont faites d'avances; nous pouvons t'interroger, tu vas nous
r‚pondre?
RUGGIERI
Oui...
JOYEUSE
Un instant, tˆte-Dieu!...(Tirant … lui Ruggieri) Venez ici, mon pŠre...On dit que vous ˆtes
en commerce avec Satan...Si cela ‚tait, si cet entretien avec vous pouvait compromettre
notre salut,...j'espŠre que vous y regarderiez … deux fois, avant de damner trois
gentilshommes des premiŠres maisons de France?
D'EPERNON
Joyeuse a raison, et nous sommes trop bons chr‚tiens!...
RUGGIERI
Rassurez-vous, messieurs, je suis aussi bon chr‚tien que vous.
D'EPERNON
Puisque tu nous assures que ta sorcellerie n'a rien de commun avec l'enfer, eh bien,
voyons, que te faut-il, ma tˆte ou ma main?...
RUGGIERI
Ni l'une ni l'autre; ces formalit‚s sont bonnes pour le vulgaire; mais, toi, jeune homme, tu
es plac‚ assez au-dessus de lui pour que ce soit dans un astre brillant entre tous les astres
que je lise ta destin‚e...Nogaret de la Valette, baron d'Epernon...
D'EPERNON
Comment! tu me connais aussi, moi?...Au fait, il n'y a rien l… d'‚tonnant...Je suis devenu
si populaire!
RUGGIERI, reprenant
Nogaret de la Valette, baron d'Epernon, ta faveur pass‚e n'est rien auprŠs de ce que sera
ta faveur future.
D'EPERNON
Vive Dieu! mon pŠre, et comment irai-je plus loin?...Le roi m'appelle son fils.
RUGGIERI
Ce titre, son amiti‚ seule te le donne, et l'amiti‚ des rois est inconstante...Il t'appellera son
frŠre, et les liens du sang le lui commanderont.
D'EPERNON
Comment! tu connais le projet du mariage...?
RUGGIERI
Elle est belle, la princesse Christine! Heureux sera celui qui la poss‚dera!
D'EPERNON
Mais qui a pu t'apprendre?...
RUGGIERI
Ne t'ai-je pas dit, jeune homme, que ton astre ‚tait brillant entre tous les astres?...Et
maintenant … vous, Anne d'Arques, vicomte de Joyeuse; … vous que le roi appelle aussi
son enfant.
JOYEUSE
Eh bien; mon pŠre, puisque vous lisez si bien dans le ciel, vous devez y voir tout le d‚sir
que j'ai de rester dans cet excellent fauteuil, si toutefois cela ne nuit pas … mon
horoscope...Non? Eh bien, allez, je vous ‚coute.
RUGGIERI
Jeune homme, as-tu song‚ quelquefois, dans tes rˆves d'ambition, que la vicomte de
Joyeuse p–t ˆtre ‚rig‚e en duch‚;...que le titre de pair qu'on y joindrait te donnerait le pas
sur tous les pairs de France, except‚ les princes du sang royal, et ceux des maisons
souveraines de Savoie, Lorraine et ClŠves?...Oui...Eh bien, tu n'as fait que pressentir la
moiti‚ de ta fortune...Salut … l'‚poux de Marguerite de Vaudemont, soeur de la
reine!...Salut au grand amiral du royaume de France!...
JOYEUSE, se levant vivement
Avec l'aide de Dieu et de mon ‚p‚e, mon pŠre, nous y arriverons. (Lui donnant sa bourse)
Tenez, c'est bien mal r‚compenser la pr‚diction de si hautes destin‚es; mais c'est tout ce
que j'ai sur moi.
D'EPERNON
De par Dieu! tu m'y fais penser, et moi qui oubliais...(Il fouille … son escarcelle) Eh bien,
des drag‚es … sarbacane, voil… tout...Je ne pensais plus que j'avais perdu … la prime
jusqu'… mon dernier philippus...Je ne sais ce que devient ce maudit argent; il faut qu'il
soit tr‚pass‚...Vive Dieu! Saint-M‚grin, toi qui es ami de Ronsard, tu devrais bien le
charger de faire son ‚pitaphe...
SAINT-MEGRIN
Il est enterr‚ dans les poches de ces coquins de ligueurs...Je crois qu'il n'y a plus guŠre
que l… qu'on puisse trouver les ‚cus … la rose et les doublons d'Espagne...Cependant il
m'en reste encore quelques-uns, et si tu veux...
D'EPERNON, riant
Non, non, garde-les pour acheter de l'ell‚bore; car il faut que vous sachiez, mon pŠre, que,
depuis quelque temps, notre camarade Saint-M‚grin est fou...Seulement, sa folie n'est pas
gaie...Cependant, il vient de me donner une bonne id‚e...Il faut que je vous fasse payer
mon horoscope par un ligueur...Voyons, sur lequel vais-je vous donne un
bon?...Aide-moi, duc de
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