Henri III et sa Cour | Page 5

Alexandre Dumas, père
encore de la science?
SAINT-MEGRIN
Non...
RUGGIERI
Veux-tu partir encore sans me consulter?
SAINT-MEGRIN
Je le devrais, peut-être...
RUGGIERI
J'ai cependant bien des révélations à te faire.

SAINT-MEGRIN
Qu'elles viennent du ciel ou de l'enfer, je les entendrai...Joyeuse,
d'Epernon, laissez-moi: je vous rejoindrai bientôt dans l'antichambre...
JOYEUSE
Un instant, un instant!...ma sarbacane...De par sainte Anne! si j'aperçois
une maison de ligueur à cinquante pas à la ronde, je ne veux pas lui
laisser un seul carreau.
D'EPERNON, à Saint-Mégrin
Allons, dépêche-toi!...et nous te ferons bonne garde pendant ce temps.
(Ils sortent.)
SCENE IV
RUGGIERI, SAINT-MEGRIN, puis LA DUCHESSE DE GUISE
SAINT-MEGRIN, poussant la porte
Bien, bien...(Revenant) Mon père... un seul mot... M'aime-t-elle?...
Vous vous taisez, mon père... Malédiction!... Oh! faites...faites qu'elle
m'aime! On dit que votre art a des ressources inconnues et certaines,
des breuvages, des philtres! Quels que soient vos moyens, je les accepte,
dussent-ils compromettre ma vie en ce monde et mon salut dans
l'autre...Je suis riche. Tout ce que j'ai est à vous. De l'or, des bijoux; ah!
votre science peut-être méprise ces trésors du monde! Eh bien,
écoutez-moi, mon père! On dit que les magiciens quelquefois ont
besoin, pour leurs expériences cabalistiques, du sang d'un homme
vivant encore. (Lui présentant son bras nu) Tenez, mon
père...Engagez-vous seulement à me faire aimer d'elle...
RUGGIERI
Mais es-tu sûr qu'elle ne t'aime pas?
SAINT-MEGRIN

Que vous dirai-je, mon père? jusqu'à l'heure du désespoir, ne reste-t-il
pas au fond du coeur une espérance sourde?...Oui, quelquefois j'ai cru
lire dans ses yeux, lorsqu'ils ne se détournaient pas assez vite...Mais je
puis me tromper...Elle me fuit, et jamais je ne suis parvenu à me
trouver seul avec elle.
RUGGIERI
Et si tu y réussissais enfin?
SAINT-MEGRIN
Cela étant, mon père!...son premier mot m'apprendrait ce que j'ai à
craindre ou à espérer.
RUGGIERI
Et bien, viens et regarde dans cette glace...On l'appelle le miroir de
réflexion...Quelle est la personne que tu désires y voir?
SAINT-MEGRIN
Elle, mon père!...
(Pendant qu'il regarde, l'alcôve s'ouvre derrière lui et laisse apercevoir
la duchesse de Guise endormie)
RUGGIERI
Regarde!
SAINT-MEGRIN
Dieu!...vrai Dieu!...c'est elle!...elle, endormie! Ah! Catherine! (L'alcôve
se referme) Catherine! Rien...(regardant derrière) Rien non plus par
ici...Tout a disparu: c'est un rêve, une illusion...Mon père, que je la
voie...que je la revoie encore!...
RUGGIERI

Elle dormait, dis-tu?
SAINT-MEGRIN
Oui...
RUGGIERI
Ecoute: c'est surtout pendant le sommeil que notre pouvoir est plus
grand...Je puis profiter du sien pour la transporter ici.
SAINT-MEGRIN
Ici, près de moi?
RUGGIERI
Mais, dès qu'elle est réveillée, rappelle-toi que toute ma puissance ne
peut rien contre sa volonté...
SAINT-MEGRIN
Bien, mais hâtez-vous, mon père!...hâtez-vous!...
RUGGIERI
Prends ce flacon; il suffira de le lui faire respirer pour qu'elle revienne à
elle...
SAINT-MEGRIN
Oui, oui; mais hâtez-vous...
RUGGIERI
T'engages-tu par serment à ne jamais révéler?...
SAINT-MEGRIN

Sur la part que j'espère dans le paradis, je vous le jure...
RUGGIERI
Eh bien, lis...(Tandis que Saint-Megrin parcourt quelques lignes du
livre ouvert par Ruggieri, l'alcôve s'ouvre derrière lui; un ressort fait
avancer le sofa dans la chambre, et la boiserie se referme) Regarde! (Il
sort)
SCENE V
SAINT-MEGRIN, LA DUCHESSE DE GUISE
SAINT-MEGRIN
Elle!...c'est elle!...la voilà...(Il s'élance vers elle, puis s'arrête tout à
coup) Dieu! j'ai lu que parfois des magiciens enlevaient au tombeau des
corps qui, par la force de leurs enchantements, prenaient la
ressemblance d'une personne vivante. Si...Que Dieu me protège!
Ah!...rien ne change...Ce n'est donc pas un prestige, un rêve du
ciel...Oh! son coeur bat à peine!...sa main...elle est glacée!...Catherine!
réveille-toi: ce sommeil m'épouvante! Catherine!...Elle dort...Que
faire?...Ah! ce flacon,.....j'oubliais...Ma tête est perdue!...(Il lui fait
respirer le flacon)
LA DUCHESSE DE GUISE
Ah!...
SAINT-MEGRIN
Oui, oui,...respire!...lève-toi!...parle, parle!...j'aime mieux entendre ta
voix, dût-elle me bannir à jamais de ta présence, que de te voir dormir
de ce sommeil froid.
LA DUCHESSE DE GUISE
Ah! que je suis faible!...(Elle se lève en s'appuyant sur la tête de
Saint-Mégrin, qui est à ses pieds) J'ai dormi longtemps...Mes

femmes...comment s'appellent-elles?...(Apercevant Saint-Mégrin) Ah!
c'est vous, comte? (Elle lui tend la main)
SAINT-MEGRIN
Oui...oui...
LA DUCHESSE DE GUISE
Vous!...mais pourquoi vous? Ce n'était pas vous que j'étais habituée à
voir à mon réveil...Mon front est si lourd, que je ne puis y rassembler
deux idées...
SAINT-MEGRIN
Oh! Catherine, qu'une seule s'y présente, qu'une seule y reste!...celle de
mon amour pour toi...
LA DUCHESSE DE GUISE
Oui,...oui,...vous m'aimez...Oh! depuis longtemps, je m'en suis
aperçue... Et moi aussi, je vous aimais, et je vous le cachais... Pourquoi
donc?...Il me semble pourtant qu'il y a bien du bonheur à le dire!...
SAINT-MEGRIN
Oh! redis-le donc encore!...redis-le, car il y a bien du bonheur à
l'entendre!...
LA DUCHESSE DE GUISE
Mais j'avais un motif pour vous le cacher...Quel était-il donc?... Ah!...
ce n'était pas vous que je devais aimer...(Se levant, et oubliant son
mouchoir sur le sofa) Sainte Mère de Dieu! aurais-je dit que je vous
aimais?...Malheureuse que je suis!...mon
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