sorcellerie n'a rien de commun avec
l'enfer, eh bien, voyons, que te faut-il, ma tête ou ma main?...
RUGGIERI
Ni l'une ni l'autre; ces formalités sont bonnes pour le vulgaire; mais, toi,
jeune homme, tu es placé assez au-dessus de lui pour que ce soit dans
un astre brillant entre tous les astres que je lise ta destinée...Nogaret de
la Valette, baron d'Epernon...
D'EPERNON
Comment! tu me connais aussi, moi?...Au fait, il n'y a rien là
d'étonnant...Je suis devenu si populaire!
RUGGIERI, reprenant
Nogaret de la Valette, baron d'Epernon, ta faveur passée n'est rien
auprès de ce que sera ta faveur future.
D'EPERNON
Vive Dieu! mon père, et comment irai-je plus loin?...Le roi m'appelle
son fils.
RUGGIERI
Ce titre, son amitié seule te le donne, et l'amitié des rois est
inconstante...Il t'appellera son frère, et les liens du sang le lui
commanderont.
D'EPERNON
Comment! tu connais le projet du mariage...?
RUGGIERI
Elle est belle, la princesse Christine! Heureux sera celui qui la
possédera!
D'EPERNON
Mais qui a pu t'apprendre?...
RUGGIERI
Ne t'ai-je pas dit, jeune homme, que ton astre était brillant entre tous les
astres?...Et maintenant à vous, Anne d'Arques, vicomte de Joyeuse; à
vous que le roi appelle aussi son enfant.
JOYEUSE
Eh bien; mon père, puisque vous lisez si bien dans le ciel, vous devez y
voir tout le désir que j'ai de rester dans cet excellent fauteuil, si
toutefois cela ne nuit pas à mon horoscope...Non? Eh bien, allez, je
vous écoute.
RUGGIERI
Jeune homme, as-tu songé quelquefois, dans tes rêves d'ambition, que
la vicomté de Joyeuse pût être érigée en duché;...que le titre de pair
qu'on y joindrait te donnerait le pas sur tous les pairs de France, excepté
les princes du sang royal, et ceux des maisons souveraines de Savoie,
Lorraine et Clèves?...Oui...Eh bien, tu n'as fait que pressentir la moitié
de ta fortune...Salut à l'époux de Marguerite de Vaudemont, soeur de la
reine!...Salut au grand amiral du royaume de France!...
JOYEUSE, se levant vivement
Avec l'aide de Dieu et de mon épée, mon père, nous y arriverons. (Lui
donnant sa bourse) Tenez, c'est bien mal récompenser la prédiction de
si hautes destinées; mais c'est tout ce que j'ai sur moi.
D'EPERNON
De par Dieu! tu m'y fais penser, et moi qui oubliais...(Il fouille à son
escarcelle) Eh bien, des dragées à sarbacane, voilà tout...Je ne pensais
plus que j'avais perdu à la prime jusqu'à mon dernier philippus...Je ne
sais ce que devient ce maudit argent; il faut qu'il soit trépassé...Vive
Dieu! Saint-Mégrin, toi qui es ami de Ronsard, tu devrais bien le
charger de faire son épitaphe...
SAINT-MEGRIN
Il est enterré dans les poches de ces coquins de ligueurs...Je crois qu'il
n'y a plus guère que là qu'on puisse trouver les écus à la rose et les
doublons d'Espagne...Cependant il m'en reste encore quelques-uns, et si
tu veux...
D'EPERNON, riant
Non, non, garde-les pour acheter de l'ellébore; car il faut que vous
sachiez, mon père, que, depuis quelque temps, notre camarade
Saint-Mégrin est fou...Seulement, sa folie n'est pas gaie...Cependant, il
vient de me donner une bonne idée...Il faut que je vous fasse payer mon
horoscope par un ligueur...Voyons, sur lequel vais-je vous donne un
bon?...Aide-moi, duc de Joyeuse. Ce titre sonne bien, n'est-ce pas?
Voyons, cherche...
JOYEUSE
Que dis-tu de notre maître des comptes, La Chapelle-Marteau?...
D'EPERNON
Insolvable...En huit jours, il épuiserait les trésors de Philippe II.
SAINT-MEGRIN
Et le petit Brigard?...
D'EPERNON
Bah!...un prévot de boutiquiers! il offrirait de s'acquitter en cannelle et
en herbe à la reine.
RUGGIERI
Thomas Crucé?...
D'EPERNON
Si je vous prenais au mot, mon père, vos épaules pourraient garder
pendant quelque temps rancune à votre langue...Il n'est pas endurant.
JOYEUSE
Eh bien, Bussy Leclerc?
D'EPERNON
Vive Dieu....un procureur...Tu es de bon conseil, Joyeuse...(A Ruggieri)
Tiens, voilà un bon de dix écus noble rose. Fais bien attention que la
noble rose n'est pas démonétisée comme l'écu sol et le ducat polonais,
et qu'elle vaut douze livres. Va chez ce coquin de ligueur de la part de
d'Epernon et fais-toi payer; s'il refuse, dis-lui que j'irai moi-même avec
vingt-cinq gentilshommes et dix ou douze pages...
SAINT-MEGRIN
Allons, maintenant que ton compte est réglé, je te rappellerai qu'on doit
nous attendre au Louvre...Il faut rentrer, messieurs; partons!
JOYEUSE
Tu as raison; nous ne trouverions plus de chaises à porteurs.
RUGGIERI, arrêtant Saint-Mégrin
Comment! jeune homme, tu t'éloignes sans me consulter!...
SAINT-MEGRIN
Je ne suis pas ambitieux, mon père; que pourriez-vous me promettre?
RUGGIERI
Tu n'es pas ambitieux!...Ce n'est pas en amour du moins.
SAINT-MEGRIN
Que dites-vous, mon père! Parlez bas!
RUGGIERI
Tu n'es pas ambitieux, jeune homme, et, pour devenir la dame de tes
pensées, il a fallu qu'une femme réunît dans son blason les armes de
deux maisons souveraines, surmontées d'une couronne ducale...
SAINT-MEGRIN
Plus bas, mon père, plus bas!
RUGGIERI
Eh bien, doutes-tu
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