tous les astres?...Et maintenant à vous, Anne d'Arques, vicomte de Joyeuse; à vous que le roi appelle aussi son enfant.
JOYEUSE
Eh bien; mon père, puisque vous lisez si bien dans le ciel, vous devez y voir tout le désir que j'ai de rester dans cet excellent fauteuil, si toutefois cela ne nuit pas à mon horoscope...Non? Eh bien, allez, je vous écoute.
RUGGIERI
Jeune homme, as-tu songé quelquefois, dans tes rêves d'ambition, que la vicomté de Joyeuse p?t être érigée en duché;...que le titre de pair qu'on y joindrait te donnerait le pas sur tous les pairs de France, excepté les princes du sang royal, et ceux des maisons souveraines de Savoie, Lorraine et Clèves?...Oui...Eh bien, tu n'as fait que pressentir la moitié de ta fortune...Salut à l'époux de Marguerite de Vaudemont, soeur de la reine!...Salut au grand amiral du royaume de France!...
JOYEUSE, se levant vivement
Avec l'aide de Dieu et de mon épée, mon père, nous y arriverons. (Lui donnant sa bourse) Tenez, c'est bien mal récompenser la prédiction de si hautes destinées; mais c'est tout ce que j'ai sur moi.
D'EPERNON
De par Dieu! tu m'y fais penser, et moi qui oubliais...(Il fouille à son escarcelle) Eh bien, des dragées à sarbacane, voilà tout...Je ne pensais plus que j'avais perdu à la prime jusqu'à mon dernier philippus...Je ne sais ce que devient ce maudit argent; il faut qu'il soit trépassé...Vive Dieu! Saint-Mégrin, toi qui es ami de Ronsard, tu devrais bien le charger de faire son épitaphe...
SAINT-MEGRIN
Il est enterré dans les poches de ces coquins de ligueurs...Je crois qu'il n'y a plus guère que là qu'on puisse trouver les écus à la rose et les doublons d'Espagne...Cependant il m'en reste encore quelques-uns, et si tu veux...
D'EPERNON, riant
Non, non, garde-les pour acheter de l'ellébore; car il faut que vous sachiez, mon père, que, depuis quelque temps, notre camarade Saint-Mégrin est fou...Seulement, sa folie n'est pas gaie...Cependant, il vient de me donner une bonne idée...Il faut que je vous fasse payer mon horoscope par un ligueur...Voyons, sur lequel vais-je vous donne un bon?...Aide-moi, duc de Joyeuse. Ce titre sonne bien, n'est-ce pas? Voyons, cherche...
JOYEUSE
Que dis-tu de notre ma?tre des comptes, La Chapelle-Marteau?...
D'EPERNON
Insolvable...En huit jours, il épuiserait les trésors de Philippe II.
SAINT-MEGRIN
Et le petit Brigard?...
D'EPERNON
Bah!...un prévot de boutiquiers! il offrirait de s'acquitter en cannelle et en herbe à la reine.
RUGGIERI
Thomas Crucé?...
D'EPERNON
Si je vous prenais au mot, mon père, vos épaules pourraient garder pendant quelque temps rancune à votre langue...Il n'est pas endurant.
JOYEUSE
Eh bien, Bussy Leclerc?
D'EPERNON
Vive Dieu....un procureur...Tu es de bon conseil, Joyeuse...(A Ruggieri) Tiens, voilà un bon de dix écus noble rose. Fais bien attention que la noble rose n'est pas démonétisée comme l'écu sol et le ducat polonais, et qu'elle vaut douze livres. Va chez ce coquin de ligueur de la part de d'Epernon et fais-toi payer; s'il refuse, dis-lui que j'irai moi-même avec vingt-cinq gentilshommes et dix ou douze pages...
SAINT-MEGRIN
Allons, maintenant que ton compte est réglé, je te rappellerai qu'on doit nous attendre au Louvre...Il faut rentrer, messieurs; partons!
JOYEUSE
Tu as raison; nous ne trouverions plus de chaises à porteurs.
RUGGIERI, arrêtant Saint-Mégrin
Comment! jeune homme, tu t'éloignes sans me consulter!...
SAINT-MEGRIN
Je ne suis pas ambitieux, mon père; que pourriez-vous me promettre?
RUGGIERI
Tu n'es pas ambitieux!...Ce n'est pas en amour du moins.
SAINT-MEGRIN
Que dites-vous, mon père! Parlez bas!
RUGGIERI
Tu n'es pas ambitieux, jeune homme, et, pour devenir la dame de tes pensées, il a fallu qu'une femme réun?t dans son blason les armes de deux maisons souveraines, surmontées d'une couronne ducale...
SAINT-MEGRIN
Plus bas, mon père, plus bas!
RUGGIERI
Eh bien, doutes-tu encore de la science?
SAINT-MEGRIN
Non...
RUGGIERI
Veux-tu partir encore sans me consulter?
SAINT-MEGRIN
Je le devrais, peut-être...
RUGGIERI
J'ai cependant bien des révélations à te faire.
SAINT-MEGRIN
Qu'elles viennent du ciel ou de l'enfer, je les entendrai...Joyeuse, d'Epernon, laissez-moi: je vous rejoindrai bient?t dans l'antichambre...
JOYEUSE
Un instant, un instant!...ma sarbacane...De par sainte Anne! si j'aper?ois une maison de ligueur à cinquante pas à la ronde, je ne veux pas lui laisser un seul carreau.
D'EPERNON, à Saint-Mégrin
Allons, dépêche-toi!...et nous te ferons bonne garde pendant ce temps. (Ils sortent.)
SCENE IV
RUGGIERI, SAINT-MEGRIN, puis LA DUCHESSE DE GUISE
SAINT-MEGRIN, poussant la porte
Bien, bien...(Revenant) Mon père... un seul mot... M'aime-t-elle?... Vous vous taisez, mon père... Malédiction!... Oh! faites...faites qu'elle m'aime! On dit que votre art a des ressources inconnues et certaines, des breuvages, des philtres! Quels que soient vos moyens, je les accepte, dussent-ils compromettre ma vie en ce monde et mon salut dans l'autre...Je suis riche. Tout ce que j'ai est à vous. De l'or, des bijoux; ah! votre science peut-être méprise ces trésors du monde! Eh bien, écoutez-moi, mon père! On dit que les magiciens quelquefois ont besoin, pour leurs expériences cabalistiques, du sang d'un homme vivant encore. (Lui présentant son bras nu) Tenez, mon père...Engagez-vous seulement à me faire aimer d'elle...
RUGGIERI
Mais es-tu s?r qu'elle ne t'aime pas?
SAINT-MEGRIN
Que vous dirai-je, mon père? jusqu'à l'heure du désespoir, ne reste-t-il pas au fond du coeur une espérance sourde?...Oui, quelquefois j'ai
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.