Henri III et sa Cour | Page 3

Alexandre Dumas, père
lui découvrir le secret de cette alc?ve.
CATHERINE
Elle dort. Je l'ai invitée à prendre avec moi une tasse de cette liqueur que l'on tire de fèves arabes que vous avez rapportées de vos voyages, et j'y ai mêlé quelques gouttes du narcotique que je vous avais demandé pour cet usage.
RUGGIERI
Son sommeil a d? être profond; car la vertu de cette liqueur est souveraine.
CATHERINE
Oui...Et vous pourrez la tirer de ce sommeil à votre volonté?
RUGGIERI
A l'instant, si vous le voulez.
CATHERINE
Gardez-vous en bien!
RUGGIERI
Je crois vous avoir dit aussi qu'à son réveil toutes ses idées seraient quelque temps confuses, et que sa mémoire ne reviendrait qu'à mesure que les objets frapperaient les yeux.
CATHERINE
Oui...tant mieux! elle sera moins à même de se rendre compte de votre magie...Quant à Saint-Mégrin, il est, comme tous ces jeunes gens, superstitieux et crédule: il aime, il croira...D'ailleurs, vous ne lui laisserez pas le temps de se reconna?tre. Vous devez avoir un moyen d'ouvrir cette alc?ve, sans quitter cette chambre?
RUGGIERI
Il ne faut qu'appuyer sur un ressort caché dans les ornements de ce miroir magique. (Il appuie sur le ressort, et la porte de l'alc?ve se lève à moitié)
CATHERINE
Votre adresse fera le reste, mon père, et je m'en rapporte à vous...Quelle heure comptez-vous?...
RUGGIERI
Je ne puis vous le dire...La présence de Votre Majesté m'a fait oublier de retourner ce sablier, et il faudrait appeler quelqu'un.
CATHERINE
C'est inutile; ils ne doivent pas tarder; voilà l'important...Seulement, mon père, je ferai venir d'Italie une horloge;...je la ferai venir pour vous...Ou plut?t, écrivez vous-même à Florence et demandez-la, quelque prix qu'elle co?te.
RUGGIERI
Votre Majesté comble tous mes désirs...Depuis longtemps, j'en eusse acheté une, si le prix exorbitant qu'il faut y mettre...
CATHERINE
Pourquoi ne pas vous adresser à moi, mon père?...Par Notre-Dame! il ferait beau voir que je laissasse manquer d'argent un savant tel que vous...Non...Venez demain, soit au Louvre, soit à notre h?tel de Soissons, et un bon de notre royale main, sur le surintendant de nos finances, vous prouvera que nous ne sommes ni oublieuse ni ingrate. Dieu soit avec vous, mon père! (Elle remet son masque et sort par la porte secrète)
SCENE II
RUGGIERI, LA DUCHESSE DE GUISE, endormie
RUGGIERI
Oui, j'irai te rappeler ta promesse...Ce n'est qu'à prix d'or que je puis me procurer ces manuscrits précieux qui me sont si nécessaires...(Ecoutant) On frappe...Ce sont eux. (Il va refermer la porte de l'alc?ve)
D'EPERNON, derrière le théatre
Holà! hé!
RUGGIERI
On y va, mes gentilshommes, on y va.
SCENE III
RUGGIERI, D'EPERNON, SAINT-MEGRIN, JOYEUSE
D'EPERNON, à Joyeuse, qui entre appuyé sur une sarbacane et sur le bras de Saint-Mégrin
Allons, allons, courage, Joyeuse! Voilà enfin notre sorcier...Vive Dieu! mon père, il faut avoir des jambes de chamois et des yeux de chat-huant pour arriver jusqu'à vous.
RUGGIERI
L'aigle batit son aire à la cime des rochers pour y voir de plus loin.
JOYEUSE, s'étendant dans un fauteuil
Oui; mais on voit clair pour y arriver, au moins.
SAINT-MEGRIN
Allons, allons, messieurs, il est probable que le savant Ruggieri ne comptait pas sur notre visite. Sans cela, nous aurions trouvé l'antichambre mieux éclairée...
RUGGIERI
Vous vous trompez, comte de Saint-Mégrin. Je vous attendais...
D'EPERNON
Tu lui avais donc écrit?
SAINT-MEGRIN
Non, sur mon ame; je n'en ai parlé à personne...
D'EPERNON, à Joyeuse
Et toi?
JOYEUSE
Moi? Tu sais que je n'écris que quand j'y suis forcé...Cela me fatigue.
RUGGIERI
Je vous attendais, messieurs, et je m'occupais de vous.
SAINT-MEGRIN
En ce cas, tu sais ce qui nous amène.
RUGGIERI
Oui.
(D'Epernon et Saint-Mégrin se rapprochent de lui. Joyeuse se rapproche aussi, mais sans se lever de son fauteuil)
D'EPERNON
Alors toutes tes sorcelleries sont faites d'avances; nous pouvons t'interroger, tu vas nous répondre?
RUGGIERI
Oui...
JOYEUSE
Un instant, tête-Dieu!...(Tirant à lui Ruggieri) Venez ici, mon père...On dit que vous êtes en commerce avec Satan...Si cela était, si cet entretien avec vous pouvait compromettre notre salut,...j'espère que vous y regarderiez à deux fois, avant de damner trois gentilshommes des premières maisons de France?
D'EPERNON
Joyeuse a raison, et nous sommes trop bons chrétiens!...
RUGGIERI
Rassurez-vous, messieurs, je suis aussi bon chrétien que vous.
D'EPERNON
Puisque tu nous assures que ta sorcellerie n'a rien de commun avec l'enfer, eh bien, voyons, que te faut-il, ma tête ou ma main?...
RUGGIERI
Ni l'une ni l'autre; ces formalités sont bonnes pour le vulgaire; mais, toi, jeune homme, tu es placé assez au-dessus de lui pour que ce soit dans un astre brillant entre tous les astres que je lise ta destinée...Nogaret de la Valette, baron d'Epernon...
D'EPERNON
Comment! tu me connais aussi, moi?...Au fait, il n'y a rien là d'étonnant...Je suis devenu si populaire!
RUGGIERI, reprenant
Nogaret de la Valette, baron d'Epernon, ta faveur passée n'est rien auprès de ce que sera ta faveur future.
D'EPERNON
Vive Dieu! mon père, et comment irai-je plus loin?...Le roi m'appelle son fils.
RUGGIERI
Ce titre, son amitié seule te le donne, et l'amitié des rois est inconstante...Il t'appellera son frère, et les liens du sang le lui commanderont.
D'EPERNON
Comment! tu connais le projet du mariage...?
RUGGIERI
Elle est belle, la princesse Christine! Heureux sera celui qui la possédera!
D'EPERNON
Mais qui a pu t'apprendre?...
RUGGIERI
Ne t'ai-je pas dit, jeune homme, que ton astre était brillant entre
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