Han dIslande | Page 4

Victor Hugo
trouvé
le secret de passer sans secousse d'une échoppe dans un palais, et d'échanger sans
disparate le bonnet de police contre la couronne civique.
Reconnaissant donc qu'il ne saurait trouver dans son talent ni dans sa science, par ses
ailes ou par son bec, comme dit l'ingénieuse poésie des Arabes, une préface intéressante
pour les lecteurs, l'auteur de ceci s'est déterminé à ne leur offrir qu'un récit grave et naïf
des améliorations apportées à cette seconde édition.
Il les préviendra d'abord que ce mot, _seconde édition_, est ici assez impropre, et que le
titre de _première édition_ est réellement celui qui convient à cette réimpression, attendu
que les quatre liasses inégales de papier grisâtre maculé de noir et de blanc, dans
lesquelles le public indulgent a bien voulu voir jusqu'ici les quatre volumes de _Han
d'Islande_, avaient été tellement déshonorées d'incongruités typographiques par un
imprimeur barbare, que le déplorable auteur, en parcourant sa méconnaissable production,
était incessamment livré au supplice d'un père auquel on rendrait son enfant mutilé et
tatoué par la main d'un iroquois du lac Ontario.
Ici, _l'esclavage_ du suicide en remplaçait _l'usage_; ailleurs, Je manoeuvre typographe
donnait à un lien une voix qui appartenait à un _lion_; plus loin il ôtait à la montagne du
Dofre-Field ses pics, pour lui attribuer des pieds, on, lorsque les pêcheurs norvégiens
s'attendaient à amarrer dans des criques, il poussait leur barque sur des briques. Pour ne
pas fatiguer le lecteur, l'auteur passe sous silence tout ce que sa mémoire ulcérée lui
rappelle d'outrages de ce genre:
Manet alto in pectore vulnus.
Il lui suffira de dire qu'il n'est pas d'image grotesque, de sens baroque, de pensée absurde,
de figure incohérente, d'hiéroglyphe burlesque, que l'ignorance industrieusement stupide
de ce prote logogriphique ne lui ait fait exprimer. Hélas! quiconque a fait imprimer douze
lignes dans sa vie, ne fût-ce qu'une lettre de mariage ou d'enterrement, sentira l'amertume
profonde d'une pareille douleur!
C'est donc avec le soin le plus scrupuleux qu'ont été revues les épreuves de cette nouvelle
publication, et maintenant l'auteur ose croire, ainsi qu'un ou deux amis intimes, que ce
roman restauré est digne de figurer parmi ces splendides écrits en présence desquels _les
onze étoiles se prosternent, comme devant la lune et le soleil_[Alcoran].
Si messieurs les journalistes l'accusent de n'avoir pas fait de corrections, il prendra la
liberté de leur envoyer les épreuves, noircies par un minutieux labeur, de ce livre
régénéré; car on prétend qu'il y a parmi ces messieurs plus d'un Thomas l'incrédule.
Du reste, le lecteur bénévole pourra remarquer qu'on a rectifié plusieurs dates, ajouté
quelques notes historiques, surtout enrichi un ou deux chapitres d'épigraphes nouvelles;
en un mot, il trouvera à chaque page des changements dont l'importance extrême a été
mesurée sur celle même de l'ouvrage.
Un impertinent conseiller désirait qu'il mît au bas des feuillets la traduction de toutes les

phrases latines que le docte Spiagudry sème dans cet ouvrage, pour l'intelligence--ajoutait
ce quidam--de ceux de messieurs les maçons, chaudronniers ou perruquiers qui rédigent
certains journaux où pourrait être jugé par hasard _Han d'Islande_. On pense avec quelle
indignation l'auteur a reçu cet insidieux avis. Il a instamment prié le mauvais plaisant
d'apprendre que tous les journalistes, indistinctement, sont des soleils d'urbanité, de
savoir et de bonne foi, et de ne pas lui faire l'injure de croire qu'il fût du nombre de ces
citoyens ingrats, toujours prêts à adresser aux dictateurs du goût et du génie ce méchant
vers d'un vieux poëte:
Tenez-vous dans vos peaux et ne jugez personne;
que pour lui, enfin, il était loin de penser que la peau du lion ne fût pas la peau véritable
de ces populaires seigneurs.
Quelqu'un l'exhortait encore--car il doit tout dire ingénument à ses lecteurs--à placer son
nom sur le titre de ce roman, jusqu'ici enfant abandonné d'un père inconnu. Il faut avouer
qu'outre l'agrément de voir les sept ou huit caractères romains qui forment ce qu'on
appelle son nom, ressortir en belles lettres noires sur de beau papier blanc, il y a bien un
certain charme à le faire briller isolément sur le dos de la couverture imprimée, comme si
l'ouvrage qu'il revêt, loin d'être le seul monument du génie de l'auteur, n'était que l'une
des colonnes du temple imposant où doit s'élever un jour son immortalité, qu'un mince
échantillon de son talent caché et de sa gloire inédite. Cela prouve qu'on a au moins
l'intention d'être un jour un écrivain illustre et considérable. Il a fallu, pour triompher de
cette tentation nouvelle, toute la crainte qu'a éprouvée l'auteur de ne pouvoir percer la
foule de ces noircisseurs de papier, lesquels, même en rompant l'anonyme, gardent
toujours l'incognito.
Quant à l'observation que plusieurs amateurs d'oreille délicate lui ont soumise touchant la
rudesse sauvage de ses noms norvégiens, il la trouve tout à fait fondée;
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