Han dIslande | Page 8

Victor Hugo
s'est noyé? ou le trésorier Stunck, dont la femme est infidèle?--Mais, vraiment, je ne vois point dans tout cela de motif pour se faire sauter la cervelle.
La foule croissait à chaque instant. En ce moment un jeune homme qui passait sur le port, voyant cette affluence de peuple, descendit de cheval, remit la bride aux mains du domestique qui le suivait, et entra dans le Spladgest. Il était vêtu d'un simple habit de voyage, armé d'un sabre et enveloppé d'un large manteau vert; une plume noire, attachée à son chapeau par une boucle de diamants, retombait sur sa noble figure et se balan?ait sur son front élevé, ombragé de longs cheveux chatains; ses bottines et ses éperons, souillés de boue, annon?aient qu'il venait de loin.
Lorsqu'il entra, un homme petit et trapu, enveloppé comme lui d'un manteau, et cachant ses mains sous des gants énormes, répondait au soldat:
--Et qui vous dit qu'il s'est tué? Cet homme ne s'est pas plus suicidé, j'en réponds, que le toit de votre cathédrale ne s'est incendié de lui-même.
Comme la bisaigu? fait deux blessures, cette phrase fit na?tre deux réponses.
--Notre cathédrale! dit Niels, on la couvre maintenant en cuivre. C'est ce misérable Han qui, dit-on, y a mis le feu, pour faire travailler les mineurs, parmi lesquels se trouvait son protégé Gill Stadt, que vous voyez ici.
--Comment diable! s'écriait de son c?té le soldat, m'oser soutenir à moi, second arquebusier de la garnison de Munckholm, que cet homme-là ne s'est pas br?lé la cervelle!
--Cet homme est mort assassiné, reprit froidement le petit homme.
--Mais écoutez donc l'oracle! Va, tes petits yeux gris ne voient pas plus clair que tes mains sous les gros gants dont tu les couvres au milieu de l'été.
Un éclair brilla dans les yeux du petit homme.
--Soldat! prie ton patron que ces mains-là ne laissent pas un jour leur empreinte sur ton visage.
--Oh! sortons! cria le soldat enflammé de colère. Puis, s'arrêtant tout à coup: Non, dit-il, car il ne faut point parler de duel devant des morts.
Le petit homme grommela quelques mots dans une langue étrangère et disparut.
Une voix s'éleva:--C'est aux grèves d'Urchtal qu'on l'a trouvé.
--Aux grèves d'Urchtal? dit le soldat; le capitaine Dispolsen a d? y débarquer ce matin, venant de Copenhague.
--Le capitaine Dispolsen n'est point encore arrivé à Munckholm, dit une autre voix.
--On dit que Han d'Islande erre actuellement sur ces plages, reprit un quatrième.
--En ce cas, il est possible que cet homme soit le capitaine, dit le soldat, si Han est le meurtrier; car chacun sait que l'islandais assassine d'une manière si diabolique, que ses victimes ont souvent l'apparence de suicidés.
--Quel homme est-ce donc que ce Han? demanda-t-on.
--C'est un géant, dit l'un.
--C'est un nain, dit l'autre.
--Personne ne l'a donc vu? reprit une voix.
--Ceux qui le voient pour la première fois le voient aussi pour la dernière.
--Chut! dit la vieille Olly; il n'y a, dit-on, que trois personnes qui aient jamais échangé des paroles humaines avec lui: ce réprouvé de Spiagudry, la veuve Stadt, et....--mais il a eu malheureuse vie et malheureuse mort--ce pauvre Gill, que vous voyez ici. Chut!
--Chut! répéta-t-on de toutes parts.
--Maintenant, s'écria tout à coup le soldat, je suis s?r que c'est en effet le capitaine Dispolsen; je reconnais la cha?ne d'acier que notre prisonnier, le vieux Schumacker, lui donna en don à son départ.
Le jeune homme à la plume noire rompit vivement le silence:--Vous êtes s?r que c'est le capitaine Dispolsen?
--S?r, par les mérites de saint Belzébuth! dit le soldat.
Le jeune homme sortit brusquement.
--Fais avancer une barque pour Munckholm, dit-il à son domestique.
--Mais, seigneur, et le général?....
--Tu lui mèneras les chevaux. J'irai demain. Suis-je mon ma?tre ou non? Allons, le jour baisse; et je suis pressé, une barque.
Le valet obéit et suivit quelque temps des yeux son jeune ma?tre, qui s'éloignait du rivage.

II
Je m'assiérai près de vous, tandis que vous raconterez quelque histoire agréable pour tromper le temps.
MATURIN, Bertram.
Le lecteur sait déjà que nous sommes à Drontheim, l'une des quatre principales villes de la Norvège, bien qu'elle ne f?t pas la résidence du vice-roi. à l'époque où cette histoire se passe--en 1699--le royaume de Norvège était encore uni au Danemark et gouverné par des vice-rois, dont le séjour était Berghen, cité plus grande, plus méridionale et plus belle que Drontheim, en dépit du surnom de mauvais go?t que lui donnait le célèbre amiral Tromp.
Drontheim offre un aspect agréable lorsqu'on y arrive par le golfe auquel cette ville donne son nom; le port assez large, quoique les vaisseaux n'y entrent pas aisément en tout temps, ne présentait toutefois alors que l'apparence d'un long canal, bordé à droite de navires danois et norvégiens, à gauche de navires étrangers, division prescrite par les ordonnances. On voit dans le fond la ville assise sur une plaine bien cultivée, et surmontée par les hautes aiguilles de sa cathédrale. Cette église, un des
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