Gertrude et Veronique | Page 9

André Theuriet
parole.

III
Le jour fix�� pour le d��part de l'orpheline ��tait arriv��. Sa petite malle, cadenass��e et ficel��e, attendait dans le corridor le passage d'Herbillon le brioleur[2] qui devait la charger sur un de ses mulets, et accompagner la jeune fille jusqu'aux Islettes o�� passe le courrier de B... Il ne restait plus �� Gertrude qu'une d��marche p��nible �� faire, c'��tait sa visite d'adieu �� l'oncle Renaudin. Cette visite lui co?tait, car le bonhomme ��tait quinteux et recevait fort mal les visiteurs, surtout quand ceux-ci faisaient partie de sa famille. N��anmoins Gertrude se croyait oblig��e �� ce dernier devoir. L'oncle Eustache ��tait le fr��re de sa m��re, et puis elle l'avait trouv�� si faible, si vieilli, lorsqu'elle l'avait rencontr�� r��cemment!... Qui pouvait dire si elle le reverrait jamais? C'est en songeant �� toutes ces choses que, vers midi, Gertrude prit le chemin de la maison de son oncle.
Cette maison ��tait une ancienne d��pendance de l'abbaye de Lachalade, et on l'appelait encore l'Abbatiale. Elle ��tait batie un peu en dehors du village, sur une ��minence d'o�� l'on dominait la vall��e de la Biesme, et elle comprenait, outre les batiments d'habitation, un grand jardin abandonn�� dont les murs croulants ne finissaient qu'�� la lisi��re de la for��t. Le chemin qui allait du village �� l'Abbatiale ��tait bord�� de peupliers m��lancoliques et aboutissait �� un grand mur triste dans lequel ��tait pratiqu��e une porte cintr��e, prudemment munie d'un guichet. C'est devant cette porte que Gertrude s'arr��ta pour respirer, car son coeur battait fort et elle se sentait tout oppress��e. Au bout de quelques minutes elle agita la cha?ne rouill��e de la sonnette. Un tintement plaintif r��veilla l'��cho de la cour sonore, un aboiement lointain y r��pondit, mais personne ne se montra. Enfin un bruit de sabots r��sonna dans la cour, puis une clef grin?a dans la serrure et la porte s'entre-bailla.
--Bonjour, Fanchette; puis-je voir mon oncle? demanda Gertrude �� une vieille servante qui l'examinait d'un air rev��che.
--Vous savez bien que M. Renaudin ne veut recevoir personne, r��pondit froidement celle-ci.
--C'est que je pars ce soir... pour longtemps, et j'aurais d��sir�� lui dire adieu.
La servante, tenant toujours la porte �� demi ferm��e, consid��rait la jeune fille d'un air soup?onneux.
--Allons, Fanchette, dit une voix d'homme, laisse donc entrer mademoiselle dans la cour.... J'irai voir si elle peut monter l��-haut.
En m��me temps le vieux garde Pitois ouvrit la porte toute grande et fit passer Gertrude, malgr�� les protestations de Fanchette. Les deux domestiques s'achemin��rent vers la porte du vestibule, en discutant aigrement. Gertrude les suivait toute d��contenanc��e et regardait machinalement la cour solitaire avec sa ceinture de hauts batiments aux volets clos, son puits �� la margelle us��e et sa pelouse ovale bord��e de buis, o�� un grand houx dressait son feuillage sombre et piquant, embl��me de la maussaderie des h?tes du logis....
--Je vous dis que M. Renaudin ne la recevra pas! marmonnait Fanchette.
--Encore faut-il s'en assurer, grommelait Pitois.
--Allez-y donc, vieil ent��t��! s'��cria-t-elle pouss��e �� bout.
Ils ��taient arriv��s dans le vestibule, en face d'un escalier de pierre qui conduisait �� la chambre de M. Renaudin.
--Eh bien! Fanchette, dit une voix per?ante et plaintive, que signifie ce vacarme?...
En m��me temps l'oncle Renaudin parut sur les marches sup��rieures de l'escalier. Il ��tait envelopp�� dans une longue redingote rap��e, ses doigts maigres s'appuyaient �� la rampe de fer, son corps ��tait courb�� comme la lame d'une serpe et sa t��te surplombait, montrant un crane couronn�� de cheveux blancs, un long nez pointu et des yeux gris qui dardaient un regard m��fiant.
--Que me veut-on? r��p��ta-t-il d'un ton bref, en apercevant une figure ��trang��re.
--C'est votre ni��ce, monsieur, dit Pitois.
--Je ne veux voir personne, murmura le vieillard d'un ton bourru.
--Mon oncle, commen?a Gertrude en s'avan?ant, je venais vous faire mes adieux... En m��me temps elle le regardait avec ses beaux yeux mouill��s de larmes.
Le son clair de cette voix sympathique sembla frapper le vieillard. Il s'arr��ta, d��visagea silencieusement sa ni��ce, puis, comme si quelque chose avait enfin tressailli au dedans de lui, sa figure prit une expression moins r��barbative.
--Tes adieux? reprit-il, tu quittes donc la maison du verrier?
--Je vais �� B..., r��pondit Gertrude.
--A B...! s'��cria M. Renaudin.--Les muscles de sa face parchemin��e se d��tendirent et le nom de cette ville parut agir myst��rieusement sur son esprit.--Pitois, cria-t-il, laisse-la monter.
--Attrape! dit le garde triomphant, et il fit la nique �� Fanchette qui s'��loigna d'un air grognon.
Quand Gertrude fut sur le palier: ?Attends un moment, petite!? murmura son oncle. Il se tra?na dans sa chambre o�� la jeune fille l'entendit clore �� double tour les portes des armoires et les tiroirs d'un secr��taire. ?Tu peux venir maintenant!? lui cria-t-il.
La pi��ce o�� elle entrait ��tait enti��rement lambriss��e de ch��ne. Au fond, un grand lit carr�� �� baldaquin de perse faisait face �� la porte. De hautes fen��tres garnies de rideaux jaunis donnaient sur la vall��e et les bois.
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