Gertrude et Veronique | Page 6

André Theuriet
pour le pousser dans un emploi public, sa m��re n'e?t jamais consenti �� faire de lui un commer?ant; d'ajournements en ajournements, il resta �� Lachalade, menant une vie dont l'inutilit�� lui pesait. Sous l'influence du milieu vulgaire dans lequel il grandissait, ses nerfs ��taient devenus plus irritables, et son esprit de moins en moins communicatif. Gertrude seule aurait pu l'apprivoiser et le rendre expansif; mais, avec elle, un autre sentiment arr��tait son ��lan et paralysait sa langue,--la timidit��.
La grace primesauti��re, l'esprit vif et naturel de la jeune fille imposaient �� ce gar?on sauvage et gauche. Il br?lait de confier �� sa cousine les inqui��tudes et les ambitions qui agitaient son ame, et tout le temps qu'il ��tait seul, il trouvait mille fa?ons de traduire ses aspirations confuses; mais une fois en face de Gertrude, les mots ne venaient plus. Il commen?ait une phrase, balbutiait en voyant les grand yeux de la jeune fille se fixer sur les siens, puis brusquement il s'arr��tait et redevenait silencieux. Plus Gertrude croissait en age et plus Xavier se repliait sur lui-m��me; celle-ci, d��courag��e par les airs farouches et le ton parfois bourru de son cousin, commen?ait �� imiter sa r��serve. Ils se sentaient toujours sympathiques l'un �� l'autre; mais ils se parlaient peu, se bornant �� ��changer un sourire ou un regard, en signe de tacite alliance.
Humili�� de son inaction, las des distractions du village et des ineptes conversations de ses soeurs, Xavier s'��tait consol�� en se livrant �� son go?t tr��s vif pour le dessin. Comme son fr��re Gaspard, il s'��tait mis �� courir les bois, mais ce n'��tait pas le m��me attrait qui le retenait dans les gorges de l'Argonne.--Il ��tait devenu amoureux de la for��t.--Les arbres aux attitudes majestueuses, les terrains mouvement��s, la riche coloration des bruy��res roses ou des foug��res dor��es par l'automne; le monde toujours bruissant, gazouillant ou bondissant des insectes, des oiseaux et des fauves, tout cela le charmait et le passionnait. La f��e des bois l'avait touch�� de sa baguette de coudrier; elle l'avait ramen��, s��duit et asservi sous les vo?tes verdoyantes de la for��t enchant��e. Il y passait des journ��es enti��res �� dessiner. Il avait fait connaissance avec les charbonniers et les sabotiers de la Gorge-aux-Couleuvres, et ces silvains demi-sauvages, tout poss��d��s de l'esprit forestier, l'avaient initi�� aux myst��res des bois. Le soir, au long des fournaises flamboyantes, le ma?tre charbonnier lui avait appris le nom de toutes les essences d'arbres, le chant de toutes les esp��ces d'oiseaux, et c'��tait en voyant le sabotier de la Poiri��re tailler le h��tre et le bouleau, qu'une pr��occupation nouvelle avait agit�� son esprit.
De l'admiration des belles choses au d��sir de les reproduire, la distance est courte. Xavier s'��tait tout �� coup senti travaill�� par ce besoin de cr��ation qui fait le tourment et la joie des organisations artistiques. Apr��s s'��tre longtemps content�� de dessiner des arbres et des plantes, il fut pris du d��sir de serrer de plus pr��s la r��alit��, tout en l'accommodant �� certaines combinaisons id��ales. La rustique industrie du sabotier Trinquesse fut pour lui comme une r��v��lation. Il essaya �� son tour de tailler le bois �� sa fantaisie, et pria Trinquesse de lui apprendre son m��tier. Il y fit bient?t des progr��s surprenants, et non content de manier la rouette et le paroir, il s'aboucha avec le menuisier de Lachalade, qui lui montra �� dresser, �� tourner et �� assembler. Puis, son apprentissage termin��, il se procura les outils n��cessaires et installa son atelier de sculpture sur bois dans un appentis adoss�� �� la cl?ture du jardin.
C'��tait l�� qu'il passait des journ��es enti��res, tout absorb�� par des tentatives auxquelles personne dans la famille ne s'int��ressait, sauf Gertrude. Ce fut l�� qu'il vint attendre sa cousine au lendemain de la sc��ne qui ouvre ce r��cit. Cette visite matinale, annonc��e si brusquement et si myst��rieusement par la jeune fille, l'avait pr��occup�� toute la nuit; il allait et venait dans l'atelier d'un air impatient, et son inqui��tude se peignait sur sa physionomie aux traits mobiles. C'��tait, �� cette ��poque, un gar?on maigre et brun, de taille moyenne et de mine r��veuse. Ses beaux yeux noirs, enfonc��s dans l'orbite, avaient parfois l'air de regarder en dedans. Il ne portait pas sa barbe, et l'expression fine, un peu triste, de sa bouche ressortait mieux encore sur son visage soigneusement ras��. Les flammes sombres de ses yeux creux et la ligne rouge de ses l��vres tranchaient vivement sur la paleur olivatre de son teint, et donnaient un caract��re saisissant �� sa figure encadr��e de longs cheveux noirs.
Il tressaillit tout �� coup en entendant crier le sable de l'all��e; un fr?lement de jupe et un l��ger bruit de pas annon?aient l'arriv��e de Gertrude. Il courut ouvrir �� sa cousine et l'amena jusqu'aupr��s de l'��tabli o�� un petit po��le ronflait joyeusement.
--Je t'ai fait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 82
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.