parole.
III
Le jour fixé pour le départ de l'orpheline était arrivé. Sa petite malle, cadenassée et ficelée, attendait dans le corridor le passage d'Herbillon le brioleur[2] qui devait la charger sur un de ses mulets, et accompagner la jeune fille jusqu'aux Islettes où passe le courrier de B... Il ne restait plus à Gertrude qu'une démarche pénible à faire, c'était sa visite d'adieu à l'oncle Renaudin. Cette visite lui co?tait, car le bonhomme était quinteux et recevait fort mal les visiteurs, surtout quand ceux-ci faisaient partie de sa famille. Néanmoins Gertrude se croyait obligée à ce dernier devoir. L'oncle Eustache était le frère de sa mère, et puis elle l'avait trouvé si faible, si vieilli, lorsqu'elle l'avait rencontré récemment!... Qui pouvait dire si elle le reverrait jamais? C'est en songeant à toutes ces choses que, vers midi, Gertrude prit le chemin de la maison de son oncle.
Cette maison était une ancienne dépendance de l'abbaye de Lachalade, et on l'appelait encore l'Abbatiale. Elle était batie un peu en dehors du village, sur une éminence d'où l'on dominait la vallée de la Biesme, et elle comprenait, outre les batiments d'habitation, un grand jardin abandonné dont les murs croulants ne finissaient qu'à la lisière de la forêt. Le chemin qui allait du village à l'Abbatiale était bordé de peupliers mélancoliques et aboutissait à un grand mur triste dans lequel était pratiquée une porte cintrée, prudemment munie d'un guichet. C'est devant cette porte que Gertrude s'arrêta pour respirer, car son coeur battait fort et elle se sentait tout oppressée. Au bout de quelques minutes elle agita la cha?ne rouillée de la sonnette. Un tintement plaintif réveilla l'écho de la cour sonore, un aboiement lointain y répondit, mais personne ne se montra. Enfin un bruit de sabots résonna dans la cour, puis une clef grin?a dans la serrure et la porte s'entre-bailla.
--Bonjour, Fanchette; puis-je voir mon oncle? demanda Gertrude à une vieille servante qui l'examinait d'un air revêche.
--Vous savez bien que M. Renaudin ne veut recevoir personne, répondit froidement celle-ci.
--C'est que je pars ce soir... pour longtemps, et j'aurais désiré lui dire adieu.
La servante, tenant toujours la porte à demi fermée, considérait la jeune fille d'un air soup?onneux.
--Allons, Fanchette, dit une voix d'homme, laisse donc entrer mademoiselle dans la cour.... J'irai voir si elle peut monter là-haut.
En même temps le vieux garde Pitois ouvrit la porte toute grande et fit passer Gertrude, malgré les protestations de Fanchette. Les deux domestiques s'acheminèrent vers la porte du vestibule, en discutant aigrement. Gertrude les suivait toute décontenancée et regardait machinalement la cour solitaire avec sa ceinture de hauts batiments aux volets clos, son puits à la margelle usée et sa pelouse ovale bordée de buis, où un grand houx dressait son feuillage sombre et piquant, emblème de la maussaderie des h?tes du logis....
--Je vous dis que M. Renaudin ne la recevra pas! marmonnait Fanchette.
--Encore faut-il s'en assurer, grommelait Pitois.
--Allez-y donc, vieil entêté! s'écria-t-elle poussée à bout.
Ils étaient arrivés dans le vestibule, en face d'un escalier de pierre qui conduisait à la chambre de M. Renaudin.
--Eh bien! Fanchette, dit une voix per?ante et plaintive, que signifie ce vacarme?...
En même temps l'oncle Renaudin parut sur les marches supérieures de l'escalier. Il était enveloppé dans une longue redingote rapée, ses doigts maigres s'appuyaient à la rampe de fer, son corps était courbé comme la lame d'une serpe et sa tête surplombait, montrant un crane couronné de cheveux blancs, un long nez pointu et des yeux gris qui dardaient un regard méfiant.
--Que me veut-on? répéta-t-il d'un ton bref, en apercevant une figure étrangère.
--C'est votre nièce, monsieur, dit Pitois.
--Je ne veux voir personne, murmura le vieillard d'un ton bourru.
--Mon oncle, commen?a Gertrude en s'avan?ant, je venais vous faire mes adieux... En même temps elle le regardait avec ses beaux yeux mouillés de larmes.
Le son clair de cette voix sympathique sembla frapper le vieillard. Il s'arrêta, dévisagea silencieusement sa nièce, puis, comme si quelque chose avait enfin tressailli au dedans de lui, sa figure prit une expression moins rébarbative.
--Tes adieux? reprit-il, tu quittes donc la maison du verrier?
--Je vais à B..., répondit Gertrude.
--A B...! s'écria M. Renaudin.--Les muscles de sa face parcheminée se détendirent et le nom de cette ville parut agir mystérieusement sur son esprit.--Pitois, cria-t-il, laisse-la monter.
--Attrape! dit le garde triomphant, et il fit la nique à Fanchette qui s'éloigna d'un air grognon.
Quand Gertrude fut sur le palier: ?Attends un moment, petite!? murmura son oncle. Il se tra?na dans sa chambre où la jeune fille l'entendit clore à double tour les portes des armoires et les tiroirs d'un secrétaire. ?Tu peux venir maintenant!? lui cria-t-il.
La pièce où elle entrait était entièrement lambrissée de chêne. Au fond, un grand lit carré à baldaquin de perse faisait face à la porte. De hautes fenêtres garnies de rideaux jaunis donnaient sur la vallée et les bois.
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