Germinal | Page 9

Emile Zola
plus de café,
elle dut se contenter de passer l'eau sur le marc de la veille; puis, elle
sucra dans la cafetière, avec de la cassonade. Justement, son père et ses
deux frères descendaient.
--Fichtre! déclara Zacharie, quand il eut mis le nez dans son bol, en
voilà un qui ne nous cassera pas la tête!
Maheu haussa les épaules d'un air résigné.
--Bah! c'est chaud, c'est bon tout de même.
Jeanlin avait ramassé les miettes des tartines et trempait une soupe.
Après avoir bu, Catherine acheva de vider la cafetière dans les gourdes
de fer-blanc. Tous quatre, debout, mal éclairés par la chandelle fumeuse,
avalaient en hâte.
--Y sommes-nous à la fin! dit le père. On croirait qu'on a des rentes!
Mais une voix vint de l'escalier, dont ils avaient laissé la porte ouverte.
C'était la Maheude qui criait:
--Prenez tout le pain, j'ai un peu de vermicelle pour les enfants!
--Oui, oui! répondit Catherine.
Elle avait recouvert le feu, en calant, sur un coin de la grille, un restant
de soupe, que le grand-père trouverait chaude, lorsqu'il rentrerait à six
heures. Chacun prit sa paire de sabots sous le buffet, se passa la ficelle
de sa gourde à l'épaule, et fourra son briquet dans son dos, entre la
chemise et la veste. Et ils sortirent, les hommes devant, la fille derrière,

soufflant la chandelle, donnant un tour de clef. La maison redevint
noire.
--Tiens! nous filons ensemble, dit un homme qui refermait la porte de
la maison voisine.
C'était Levaque, avec son fils Bébert, un gamin de douze ans, grand
ami de Jeanlin. Catherine, étonnée, étouffa un rire, à l'oreille de
Zacharie: quoi donc? Bouteloup n'attendait même plus que le mari fût
parti!
Maintenant, dans le coron, les lumières s'éteignaient. Une dernière
porte claqua, tout dormait de nouveau, les femmes et les petits
reprenaient leur somme, au fond des lits plus larges. Et, du village
éteint au Voreux qui soufflait, c'était sous les rafales un lent défilé
d'ombres, le départ des charbonniers pour le travail, roulant des épaules,
embarrassés de leurs bras, qu'ils croisaient sur la poitrine; tandis que,
derrière, le briquet faisait à chacun une bosse. Vêtus de toile mince, ils
grelottaient de froid, sans se hâter davantage, débandés le long de la
route, avec un piétinement de troupeau.

III
Étienne, descendu enfin du terri, venait d'entrer au Voreux; et les
hommes auxquels il s'adressait, demandant s'il y avait du travail,
hochaient la tête, lui disaient tous d'attendre le maître-porion. On le
laissait libre, au milieu des bâtiments mal éclairés, pleins de trous noirs,
inquiétants avec la complication de leurs salles et de leurs étages. Après
avoir monté un escalier obscur à moitié détruit, il s'était trouvé sur une
passerelle branlante, puis avait traversé le hangar du criblage, plongé
dans une nuit si profonde, qu'il marchait les mains en avant, pour ne
pas se heurter. Devant lui, brusquement, deux yeux jaunes, énormes,
trouèrent les ténèbres. Il était sous le beffroi, dans la salle de recette, à
la bouche même du puits.
Un porion, le père Richomme, un gros à figure de bon gendarme,
barrée de moustaches grises, se dirigeait justement vers le bureau du
receveur.
--On n'a pas besoin d'un ouvrier ici, pour n'importe quel travail?
demanda de nouveau Étienne.
Richomme allait dire non; mais il se reprit et répondit comme les autres,
en s'éloignant:

--Attendez monsieur Dansaert, le maître-porion.
Quatre lanternes étaient plantées là, et les réflecteurs, qui jetaient toute
la lumière sur le puits, éclairaient vivement les rampes de fer, les
leviers des signaux et des verrous, les madriers des guides, où glissaient
les deux cages. Le reste, la vaste salle, pareille à une nef d'église, se
noyait, peuplée de grandes ombres flottantes. Seule, la lampisterie
flambait au fond, tandis que, dans le bureau du receveur, une maigre
lampe mettait comme une étoile près de s'éteindre. L'extraction venait
d'être reprise; et, sur les dalles de fonte, c'était un tonnerre continu, les
berlines de charbon roulées sans cesse, les courses des moulineurs, dont
on distinguait les longues échines penchées, dans le remuement de
toutes ces choses noires et bruyantes qui s'agitaient.
Un instant, Étienne resta immobile, assourdi, aveuglé. Il était glacé, des
courants d'air entraient de partout. Alors, il fit quelques pas, attiré par la
machine, dont il voyait maintenant luire les aciers et les cuivres. Elle se
trouvait en arrière du puits, à vingt-cinq mètres, dans une salle plus
haute, et assise si carrément sur son massif de briques, qu'elle marchait
à toute vapeur, de toute sa force de quatre cents chevaux, sans que le
mouvement de sa bielle énorme, émergeant et plongeant avec une
douceur huilée, donnât un frisson aux murs. Le machineur, debout à la
barre de mise en train, écoutait les sonneries des signaux, ne quittait pas
des yeux le tableau indicateur, où
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