Germaine | Page 8

Edmond About
Diego Gomez de Villanera est le dernier rejeton d'une grande famille napolitaine transplant��e en Espagne sous le r��gne de Charles-Quint. Sa fortune est la plus grande de toute la P��ninsule; s'il cultivait ses terres et s'il exploitait ses mines, il se ferait deux ou trois millions de revenu. En attendant, il a quatorze cent mille francs de rente, un peu moins que le prince Ysoupoff. Il a trente-deux ans, une jolie figure, une ��ducation exquise, un caract��re honorable....
--Ajoutez: Et Mme Chermidy.
--Puisque vous savez cela, vous m'abr��gez le chemin. Le comte, pour des raisons qui seraient trop longues �� d��duire, veut quitter Mme Chermidy et se marier, suivant son rang, dans une des familles les plus illustres du faubourg. Il recherche si peu la fortune, qu'il assurera �� son beau-p��re cinquante mille francs de rente. Le beau-p��re qu'il d��sire, c'est vous; il m'a charg�� de sonder vos dispositions. Si vous dites oui, il viendra aujourd'hui m��me vous demander la main de mademoiselle votre fille, et le mariage sera fait dans quinze jours.?
Pour le coup, le duc sauta �� bas du lit et regarda le docteur entre les deux yeux:
?Vous n'��tes pas fou? lui dit-il; vous ne vous moquez pas de moi? Vous ne pouvez pas oublier que je suis le duc de La Tour d'Embleuse et que j'ai le double de votre age? est-ce bien vrai ce que vous m'avez dit?
--La v��rit�� toute pure.
--Mais il ne sait donc pas que Germaine est malade?
--Il le sait.
--Mourante?
--Il le sait.
--Condamn��e?
--Il le sait.?
Un nuage passa sur la figure du vieux duc. Il s'assit au coin de la chemin��e froide sans s'apercevoir qu'il ��tait presque nu; il appuya les coudes sur ses genoux et serra sa t��te entre ses mains.
?Cela n'est pas naturel, reprit-il. Vous ne m'avez pas tout dit, et M. de Villanera doit avoir quelque motif secret pour demander la main d'une morte.
--En effet, r��pondit le docteur. Mais veuillez vous remettre au lit. C'est tout une histoire �� raconter.?
Le duc revint se pelotonner sous la couverture. Ses dents claquaient de froid et d'impatience, et il attachait ses petits yeux sur le docteur avec la curiosit�� inqui��te d'un enfant qui regarde ouvrir une boite de bonbons. M. Le Bris ne le fit pas attendre.
?Vous savez, lui dit-il, quelle est la position de Mme Chermidy?
--Veuve consolable d'un mari qu'on n'a jamais vu!
--J'ai rencontr�� M. Chermidy il y a trois ans, et je vous r��ponds que sa femme n'est pas veuve.
--Tant mieux pour lui! Peste! mari de Mme Chermidy! c'est une sin��cure qui doit rapporter de beaux appointements!
--Voil�� comme on fait des jugements t��m��raires! M. Chermidy est un honn��te homme, et m��me un officier de quelque m��rite. Je ne crois pas qu'il soit parti de bien haut; �� trente-cinq ans, il ��tait dans la marine marchande, capitaine au long cours. Il obtint d'��tre embarqu�� sur un navire de l'��tat, comme enseigne auxiliaire, et, apr��s deux ans de services, le ministre lui signa un brevet d'officier. C'est en 1838 qu'il mit son coeur et son ��paulette aux pieds d'Honorine Lavenaze. Elle avait pour tout bien ses dix-huit ans, les grands yeux que vous savez, un bonnet d'Arl��sienne qui la coiffait �� ravir et une ambition sans limites. Elle n'��tait pas, �� beaucoup pr��s, aussi belle qu'aujourd'hui. Je sais de sa propre bouche qu'elle ��tait s��che comme un coup de baton et noire comme un petit corbeau. Mais elle ��tait en vue, et partant souhait��e. Elle r��gnait au comptoir d'un bureau de tabac, et, depuis le pr��fet maritime jusqu'aux ��l��ves de deuxi��me classe, toute l'aristocratie nautique de Toulon venait fumer et soupirer autour d'elle. Mais rien ne put faire tourner cette forte t��te, ni la vapeur de l'encens, ni la fum��e du cigare. Elle s'��tait jur�� d'��tre sage jusqu'�� ce qu'elle e?t trouv�� un mari, et nulle s��duction ne la fit d��mordre de sa vertu. Les officiers l'avaient surnomm��e Croquet pour sa duret��; les bourgeois l'appelaient Ulloa, parce qu'elle ��tait assi��g��e par la marine fran?aise.
Les ��pouseurs s��rieux ne lui manquaient pas; on en trouve abondamment dans les ports de mer. Au retour des longues travers��es, l'officier de marine a plus d'illusions, plus de na?vet��, plus de jeunesse qu'il n'en avait le jour du d��part; la premi��re femme qui se pr��sente �� ses yeux lui appara?t aussi belle et aussi sainte que la France retrouv��e: c'est la patrie en robe de soie! Le bonhomme Chermidy, simple comme un loup de mer, fut pr��f��r�� pour sa candeur; il croqua cette brebis r��calcitrante �� la barbe de ses rivaux.
Cette bonne fortune, qui aurait pu lui faire des ennemis, ne nuisit en rien �� son avenir. Quoiqu'il v��c?t �� l'��cart, seul avec sa femme, dans une bastide isol��e, il obtint un fort joli commandement sans l'avoir demand��. Depuis cette ��poque, il n'a vu la France qu'�� tr��s-rares intervalles; toujours en mer, il a
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 87
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.