George Sand | Page 7

Elme Caro
même plus de combattre. Elle
avait résolu de s'abstenir autant que possible de la vie; elle avait même

passé du dégoût de la vie au désir de la mort. Elle ne s'approchait
jamais de la rivière sans éprouver dans sa tête comme une gaieté fébrile,
en se disant: «Comme c'est aisé! Je n'aurais qu'un pas à faire.» Oui ou
Non?--Voilà ce qu'elle se répétait assez souvent et assez longtemps
pour risquer d'être lancée par le Oui au fond de cette eau transparente
qui la magnétisait. Un jour, le Oui fut prononcé; elle poussa son cheval
hors de la voie marquée par le gué, dans le hasard des eaux profondes.
C'en était fait d'elle et des chefs-d'oeuvre futurs, si la bonne jument
Colette ne l'avait sauvée, d'un bond extraordinaire, hors du gouffre.
La mort de sa grand'mère, dont elle raconte les derniers moments avec
une douleur sans phrase et une sincérité touchante, termina la période
d'initiation. La séparation entre les deux familles paternelle et
maternelle fut consommée, légalement au moins, par l'ouverture du
testament. Sa mère, prévenue par quelqu'un, connaissait depuis
longtemps la clause qui la séparait de sa fille; elle savait aussi
l'adhésion donnée à cette clause. De là de nouvelles tempêtes. On y
céda dans une certaine mesure. Aurore dut rompre avec ses parents de
Villeneuve, à qui elle était recommandée par le voeu de la morte. Ce fut
un nouveau déchirement de famille.
Pour obvier à une situation fausse et parfois intolérable, Mme Dupin
conduisit un jour sa fille à la campagne, chez des amis qu'elle avait
rencontrés trois jours auparavant et qui se trouvaient être les meilleures
gens de la terre, les Duplessis; ils habitaient avec leurs enfants une belle
villa de la Brie. Mme Dupin promit de venir la chercher «la semaine
prochaine». Elle l'y laissa cinq mois, et c'est là que se fit, un jour, le
mariage qui devait clore tout naturellement des relations de famille
orageuses et parfois même extravagantes et constituer pour la jeune
femme une existence normale en espérance.
Ici encore les déceptions ne manquèrent pas. Aurore passait pour une
riche héritière, d'assez belle figure et d'un caractère gai, quand elle
n'était pas en contact avec les emportements et les irritations de sa mère,
qui avaient le privilège de la rendre affreusement triste. C'est dans la
famille Duplessis qu'elle rencontra le fils naturel d'un colonel en retraite,
M. Dudevant, dont la fortune était en rapport avec la sienne et qui la

prit tout de suite à gré, «tout en ne lui parlant point d'amour, et
s'avouant peu disposé à la passion subite, à l'enthousiasme, et, dans
tous les cas, inhabile à l'exprimer d'une manière séduisante». On fit à
Aurore la plaisanterie de la traiter comme sa femme future; il n'en fallut
pas davantage. Elle se maria presque passivement, comme elle faisait
tous les actes extérieurs de sa vie. Le mariage eut lieu en septembre
1822; ils partirent pour Nohant, où sa première occupation, pendant
l'hiver de 1823, fut le souci de la maternité qui se préparait pour elle, à
travers les plus doux rêves et les plus vives aspirations. La
transformation fut complète pour elle. Les besoins de l'intelligence,
l'inquiétude des pensées, les curiosités de l'étude comme celles de
l'observation, tout disparut, dit-elle, aussitôt que le doux fardeau se fit
sentir. «La Providence veut que, dans cette phase d'attente et d'espoir,
la vie physique et la vie du sentiment prédominent. Aussi les veilles, les
lectures, les rêveries, la vie intellectuelle en un mot fut naturellement
supprimée, et sans le moindre mérite ni le moindre regret.» Son mari
était une nature négative et tatillonne; il passait sa vie à la chasse; elle,
sans un seul point d'appui autour d'elle, s'abstint de rêver; elle fit des
layettes avec une ardeur et bientôt une maestria de coup de ciseaux qui
la surprirent elle-même.
Sauf l'épisode de la maternité, les commencements de cette existence
nouvelle furent assez ternes. Ce ne fut que par accident que revinrent
plus tard des accès de cette exaltation douloureuse qui avait fait
jusque-là son secret supplice et, ce qui est plus dangereux, sa secrète et
chère volupté. Quelques années se passèrent dans une sorte de
tranquillité prosaïque et de bonheur négatif. Le rêve semblait s'être
enfui bien loin; deux beaux enfants grandissaient autour d'elle. Elle
était devenue, s'il faut l'en croire, une campagnarde engourdie, en
apparence au moins; elle s'appliqua même à devenir une bonne femme
de ménage, ce qui est plus difficile encore. Si sa pensée travaillait
encore solitairement dans la condition très bourgeoise où elle semblait
condamnée à vivre, la jeune mère n'avait pas le pédantisme de ses
agitations morales; personne n'en avait le secret ni même le soupçon
autour d'elle, et quand elle eut écrit ses premiers romans, un de ses plus
chers amis, un habitué de Nohant, le Malgache,
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