George Sand | Page 5

Elme Caro
une sorte d'ivresse à des amusements très simples et très
actifs qui faisaient le plus singulier contraste aux yeux des personnes

habituées à la voir vivre. C'étaient «les deux faces d'un esprit porté à
s'assombrir et avide de s'égayer, peut-être d'une âme impossible à
contenter avec ce qui intéresse la plupart des hommes, et facile à
charmer avec ce qu'ils jugent puéril et illusoire.... Je ne peux pas,
disait-elle, m'expliquer mieux moi-même. Grâce à ces contrastes,
certaines gens prirent de moi l'opinion que j'étais tout à fait bizarre.»
Cette vie intérieure, qu'elle portait déjà si vive et si intense dans le
secret de sa pensée, manqua prendre un autre courant et une direction
toute nouvelle, grâce à un assez grave événement; ce fut une crise
religieuse qui, vers la seizième année, se déclara chez elle. À la suite de
déchirements de coeur qui se renouvelaient sans cesse et de quelques
révélations maladroitement cruelles qui lui furent faites sur le passé de
sa mère, Aurore avait résolu de renoncer à tout ce qui devait mettre
dans l'avenir un plus grand intervalle entre sa mère et elle, qui vivaient
généralement séparées; elle voulut renoncer à la fortune de sa
grand'mère, à l'instruction, aux belles manières, à tout ce qu'on appelle
le monde. Elle prit en horreur les leçons de son pédagogue Deschartres,
dont elle a immortalisé plus tard la figure, les vanités, les ridicules et la
rude honnêteté; elle se révolta, elle tourna à l'enfant terrible.
Mme Dupin, ne pouvant venir à bout de sa révolte, résolut de la mettre
au couvent des Anglaises, qui était alors la maison d'éducation en
vogue à Paris pour les jeunes filles de la haute société. La jeune
pensionnaire, qui arrivait là le coeur brisé des dernières luttes entre sa
mère et sa grand'mère, les deux êtres qu'elle chérissait le plus, se reposa
délicieusement dans cet abri. Elle nous a raconté avec un charme
exquis, dans l'Histoire de ma vie, son séjour au couvent, égayant son
récit de quelques vifs portraits de soeurs et de pensionnaires, décrivant
les moeurs et les habitudes, les salles d'étude et les chambres, nous
intéressant à ces petits drames de la vie des religieuses, aux querelles
des élèves, à leurs raccommodements, aux fautes et aux punitions
encourues ou subies, à cette oisiveté errante dans les couloirs, dans les
souterrains et sur les toits du couvent, à la recherche d'un secret qui
n'avait jamais existé et de victimes imaginaires dont on ne savait pas
même les noms, mais qu'on voulait délivrer d'une captivité romanesque.
C'est déjà, en action, la conception qui se réalisera dans plusieurs de ses

romans et qu'elle semble poursuivre sans cesse, les mystères de la
Daniella, de la Comtesse de Rudolstadt, du Château des Désertes, de
Flamarande et de tant d'autres récits où l'invention se complique de
surprises matérielles, de labyrinthes, de dédales d'architecture
fantastique, et où l'on croirait assister à une secrète collaboration
d'Anne Radcliffe avec un écrivain de génie. Il y a de ces idées fixes
dans George Sand. Celle-là s'était annoncée de bonne heure.
Dans cette compagnie de jeunes filles fort indisciplinées, dont
quelques-unes l'entraînaient soit à leur suite, soit à leur tête, sa gaieté,
un instant assoupie, se réveilla et même à l'excès; elle devint diable,
elle aussi, un nom caractéristique choisi par les pensionnaires qui ne
voulaient se classer ni parmi les sages, ni parmi les bêtes. Puis tout d'un
coup, après deux années d'études fort irrégulières et agitées, après
qu'elle eut épuisé des amusements qui n'avaient guère de diabolique
que le nom, et qui se réduisaient à un mouvement sans but, à la
rébellion muette et systématique contre la règle, une révolution vint à
s'opérer dans son esprit. «Cela s'était fait tout d'un coup, comme une
passion qui s'allume dans une âme ignorante de ses propres forces.» Un
jour arriva où son amour profond et tranquille pour la mère Alicia ne
lui suffit plus. «Tous ses besoins étaient dans son coeur, et son coeur
s'ennuyait.» Sous une vive impulsion, qui ressemblait à un coup de la
grâce, elle se sentit transformée. Elle entendit, elle aussi, un jour, dans
un coin sombre de la chapelle où elle s'abîmait en méditations, le Tolle,
lege de saint Augustin, qu'un tableau naïf représentait devant elle. Tout
d'un coup elle se donne, sans réserve, sans discussion, à la foi qui
l'envahit; elle n'était point lâche, nous dit-elle, et se fit un point
d'honneur de cet abandon total. Elle subit jusqu'au bout «la maladie
sacrée»; la dévotion s'empara d'elle; elle connut les larmes brûlantes de
la piété, les exaltations de la foi, et parfois aussi elle en ressentit les
défaillances et les langueurs. La fièvre mystique l'agitait, comme
saintement égarée, sous les arceaux du cloître; elle usait ses genoux,
elle répandait son âme en sanglots sur le pavé de la chapelle
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