George Sand | Page 8

Elme Caro
qui ne cousez pas mal et qui faites très bien les confitures.? Quand définitivement son intérieur fut troublé, vers 1831, quand les projets d'un avenir à sa guise eurent pris le dessus, quand on lui eut accordé une misérable pension et la liberté, qui devait plus tard se transformer en une séparation légale à son profit, quand elle fut arrivée à Paris pour y courir les risques effrayants d'une existence complètement affranchie, ce fut alors que l'on connut Mme Sand, une femme nouvelle avec un nom nouveau. Ce fut Henri Delatouche qui la baptisa ainsi. Sand restait indivis entre Jules Sandeau et elle, réunis par une collaboration pour la première oeuvre. On fut vite d'accord sur les prénoms. Sandeau garda le sien; George était synonyme de Berrichon. ?Jules et George, inconnus au public, passeraient pour frères ou cousins.? Les deux noms conquirent bient?t une célébrité qui les sépara de plus en plus l'un de l'autre.
Nous ne racontons pas une biographie, nous essayons seulement de tracer une esquisse psychologique. Notre dessein était de noter les épreuves diverses et les phases intellectuelles qui avaient marqué la jeunesse de Mme Sand. Elle arrivait à la vie littéraire avec un fonds de souffrances très réelles, bien qu'exagérées sans doute par une imagination forte, d'émotions intimes et d'agitations religieuses, irritée plut?t qu'apaisée par des lectures sans règle, avec une sensibilité aigu? et raffinée, un dédain profond pour les vérités relatives dont il faut bien parfois se contenter dans le train du monde, la haine instinctive de tous les jougs qu'impose la loi ou l'opinion, l'horreur innée de tout ce qui engage la liberté de la pensée ou celle du coeur. Ajoutez à cela qu'elle se trouve, presque à son coup d'essai et par le miracle d'une nature prodigue, en possession d'un style merveilleux, qui semble fait tout exprès et comme préparé pour recevoir son ardente pensée, qui s'était formé tout seul et sans conseils, depuis la longue série des petits cahiers consacrés à l'épopée de Corambé jusqu'au premier roman qu'elle donnera au public.
Comment se fit la première révélation de son talent d'écrire? il est curieux d'en conna?tre l'origine. Ce fut vers la fin du dernier automne qu'elle passa à Nohant. Elle avait beaucoup lu Walter Scott, dont les traces se retrouvent dans plusieurs de ses romans.
Elle ébauchait, pendant ces mois tristes, à travers ses longues promenades, l'idée d'une espèce de roman qui ne devait jamais voir le jour et qu'elle écrivit sur la tablette d'une vieille armoire, dans l'ancien boudoir de sa grand'mère, près de ses enfants: ?L'ayant lu, dit-elle avec candeur, je me convainquis qu'il ne valait rien, mais que j'en pouvais faire de moins mauvais?, et comme elle était alors très préoccupée du choix du métier qui lui assurerait sa liberté à Paris, elle vint à penser qu'en somme il n'était pas plus mauvais que beaucoup d'autres qui, tant bien que mal, faisaient vivre. ?Je reconnus que j'écrivais vite, facilement, longtemps, sans fatigue; que mes idées, engourdies dans mon cerveau, s'éveillaient et s'encha?naient, par la déduction, au courant de la plume; que dans ma vie de recueillement j'avais beaucoup observé et assez bien compris les caractères que le hasard avait fait passer devant moi, et que, par conséquent, je connaissais assez la nature humaine pour la dépeindre.? Cela l'encouragea dans sa tentative; elle en conclut que, de tous les petits travaux dont elle était capable, la littérature proprement dite, dont elle avait le go?t et l'instinct confus, était celui qui lui offrait le plus de chances de succès comme métier. Elle fit son choix. Mais elle avait bien hésité auparavant; elle avait essayé des portraits au crayon ou à l'aquarelle en quelques heures. C'était ressemblant, para?t-il, mais cela manquait d'originalité. Elle crut un instant avoir trouvé son aptitude véritable: elle peignait avec go?t des fleurs et des oiseaux d'ornement, des compositions microscopiques sur des tabatières et des étuis à cigares en bois de Spa. Elle faillit même en vendre un quatre-vingts francs, chez un marchand à qui elle l'avait confié. à quoi tiennent les destinées littéraires! Si elle en avait obtenu cent francs, ce qu'elle demandait en tremblant, sans croire que ce f?t possible, Consuelo et la Mare au Diable n'auraient jamais paru. Heureusement la mode de ces objets passa vite, et Mme Dudevant fut obligée de chercher ailleurs ce qu'elle avait cru trouver là, son gagne-pain. Le mot est d'elle; il était strictement vrai dans les conditions qui lui étaient faites. Elle avait à payer de son travail son passage à travers la vie libre, après qu'elle avait d'abord et de guerre lasse abandonné tous ses droits à son mari, pour racheter son indépendance. Ce mari, que nous ne retrouverons pas sur notre chemin, sans être précisément une réalité offensive dans les premières années, sans être d'ordinaire ni méchant ni brutal, s'était
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