George Sand et ses amis | Page 6

Abert le Roy
sa mère, ne fait pas ici le moindre effet. Le peuple y est indifférent. Les gens riches, même ceux qui se piquent de religion, ont grand'peur qu'on n'augmente les imp?ts pour payer les évêques. Les militaires, qui ne peuvent pas obtenir un sou dans les bureaux de la guerre, jurent de voir le palais épiscopal meublé aux frais du gouvernement.? Et le jeune homme, fervent voltairien, raille la bulle du Pape, ?écrite dans le style de l'Apocalypse, et qui menace les contrevenants de la colère de saint Pierre et de saint Paul.? Bref, conclut-il, ?nous nous couvrons de ridicule.? A la cérémonie de Notre-Dame en l'honneur du Concordat, les généraux se rendirent à peu près comme des chiens qu'on fouette. Le légat était en voiture, et sa croix devant lui, dans une autre voiture. Ce fut là l'occasion de négociations Pour lui, soldat de la Révolution, ayant grandi auprès d'une mère royaliste mais philosophe, il voyait avec inquiétude ?des changements dans les affaires publiques qui ne promettent rien de bon?, et même ?un retour complet à l'ancien régime?. Démocrate, il devait s'affilier à la franc-ma?onnerie qui était déjà le foyer des idées libérales. Il nous a malicieusement conté son initiation: ?On m'a enfermé dans tous les trous possibles, nez à nez avec des squelettes; on m'a fait monter dans un clocher au bas duquel on a fait mine de me précipiter... On m'a fait descendre dans des puits, et, après douze heures passées à subir toutes ces gentillesses, on m'a cherché une mauvaise querelle sur ma bonne humeur et mon ton goguenard, et on a décidé que je devais subir le dernier supplice. En conséquence, on m'a cloué dans une bière, porté au milieu des chants funèbres dans une église, pendant la nuit, et, à la clarté des flambeaux, descendu dans un caveau, mis dans une fosse et recouvert de terre, au son des cloches et du De profundis. Après quoi chacun s'est retiré. Au bout de quelques instants, j'ai senti une main qui venait me tirer mes souliers, et, tout en l'invitant à respecter les morts, je lui ai détaché le plus beau coup de pied qui se puisse donner. Le voleur de souliers a été rendre compte de mon état et constater que j'étais encore en vie. Alors on est venu me chercher pour m'admettre aux grands secrets. Comme avant l'enterrement on m'avait permis de faire mon testament, j'avais légué le caveau dans lequel j'avais été enfermé au colonel de la 14e, afin qu'il en f?t une salle de police; la corde avec laquelle on m'y avait descendu, au colonel du 4e de cavalerie, pour qu'il s'en serv?t pour se pendre, et les os dont j'étais entouré, à ronger à un certain frère terrible, qui m'avait trimbalé toute la journée dans les caves et greniers.?
C'étaient là les menues distractions de la vie de garnison à Charleville. Toutes les journées ne devaient pas y être aussi plaisantes pour Maurice, partagé entre sa ma?tresse et sa mère. Celle-ci, exempte de préjugés religieux, et qui n'acceptait guère que les doctrines du Vicaire savoyard ou cette foi à l'Etre suprême que George Sand appelle le culte épuré de Robespierre et de Saint-Just, admettait fort bien que jeunesse se passe, mais ne pouvait tolérer une mésalliance. C'est donc à son insu que le mariage fut conclu, le 16 prairial an XII (1804), par devant le maire du deuxième arrondissement de Paris, entre Maurice Dupin et Victoire Delaborde, qui désormais prendra le prénom de Sophie. Un mois plus tard, le 12 messidor (1er juillet), George Sand vit le jour, dans la maison portant le numéro 15 de la rue Meslay. Ces deux événements furent cachés à madame Dupin, qui, ultérieurement informée, courra à Paris et essayera vainement de faire casser le mariage. Celui-ci avait été célébré presque clandestinement. Sophie était allée à la mairie en modeste robe de basin, n'ayant au doigt qu'un mince filet d'or; car la gêne du ménage ne permit d'acheter que quelques jours plus tard une véritable alliance de six francs. En dépit de ces circonstances mystérieuses, George Sand, enfant de l'amour, naquit au milieu de la joie. La soeur de Sophie Delaborde allait épouser un officier, ami intime de Maurice, et l'on avait organisé une petite sauterie. ?Ma mère, lisons-nous dans l'Histoire de ma Vie, avait une jolie robe couleur de rose, et mon père jouait sur son fidèle violon de Crémone une contredanse de sa fa?on?. Tout à coup souffrante, Sophie passa dans la chambre voisine. Au milieu d'un chassez-huit, la tante Lucie accourut en s'écriant: ?Venez, venez, Maurice, vous avez une fille.? Et elle ajouta: ?Elle est née en musique et dans le rose, elle aura du bonheur.? On l'appela Aurore, en souvenir de la grand'mère absente et que l'on se garda bien d'informer. George Sand entrait
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