Gaspard de la nuit | Page 8

Louis Bertrand
compter la monnaie d'un demi-florin; moi, pauvre ��colier de Leyde, qui ai un bonnet et une culotte perc��e, debout sur un pied comme une grue sur un pal.
Voil�� le tr��buchet qui sort de la bo?te de laque aux bizarres figures chinoises, comme une araign��e qui, repliant ses longs bras, se r��fugie dans une tulipe nuanc��e de mille couleurs.
Ne dirait-on pas, �� voir la mine allong��e du ma?tre, trembler ses doigts d��charn��s d��couplant les pi��ces d'or, d'un voleur pris sur le fait et contraint, le pistolet sur la gorge, de rendre �� Dieu ce qu'il a gagn�� avec le diable?
Mon florin que tu examines avec d��fiance �� travers la loupe est moins ��quivoque et louche que ton petit oeil gris, qui fume comme un lampion mal ��teint.
Le tr��buchet est rentr�� dans sa bo?te de laque aux brillantes figures chinoises, messire Blasius s'est lev�� �� demi de son fauteuil de velours d'Utrecht, et moi, saluant jusqu'�� terre, je sors �� reculons, pauvre ��colier de Leyde qui ai bas et chausses perc��s.

IV
LA BARBE POINTUE.
Si l'on n'a la t��te lev��e Le poil de la barbe fris�� Et la moustache relev��e On est des dames m��pris��.
Les Po��sies de d'Assoucy.
Or, c'��tait f��te �� la synagogue, t��n��breusement ��toil��e de lampes d'argent, et les rabbins, en robes et en lunettes, baisaient leurs talmuds, marmottant, nazillonnant, crachant ou se mouchant, les uns assis, les autres non.
Et voil�� que tout �� coup, parmi tant de barbes rondes, ovales, carr��es, qui floconnaient, qui frisaient, qui exhalaient ambre et benjoin, fut remarqu��e une barbe taill��e en pointe.
Un docteur nomm�� ��l��botham, coiff�� d'une meule de flanelle qui ��tincelait de pierreries, se leva et dit: ?Profanation! il y a ici une barbe pointue!
--Une barbe luth��rienne!--Un manteau court!--Tuez le Philistin.?--Et la foule tr��pignait de col��re dans les bancs tumultueux, tandis que le sacrificateur braillait:--?Samson, �� moi ta machoire d'ane!?
Mais le chevalier Melchior avait d��velopp�� un parchemin authentiqu�� des armes de l'empire:--?Ordre, lut-il, d'arr��ter le boucher Isaac van Heck, pour ��tre l'assassin pendu, lui, pourceau d'Isra?l, entre deux pourceaux de Flandre.?
Trente hallebardiers se d��tach��rent �� pas lourds et cliquetants de l'ombre du corridor.--?Feu de vos hallebardes? leur ricana le boucher Isaac.--Et il se pr��cipita d'une fen��tre dans le Rhin.

V
LE MARCHAND DE TULIPES.
La tulipe est parmi les fleurs ce que le paon est parmi les oiseaux. L'une est sans parfum, l'autre est sans voix; l'une s'enorgueillit de sa robe, l'autre de sa queue.
_Le Jardin des fleurs rares et curieuses._
Nul bruit, si ce n'est le froissement de feuillets de v��lin sous les doigts du docteur Huylten, qui ne d��tachait les yeux de sa bible jonch��e de gothiques enluminures que pour admirer l'or et le pourpre de deux poissons captifs aux humides flancs d'un bocal.
Les battants de la porte roul��rent: c'��tait un marchand fleuriste qui, le bras charg��s de plusieurs pots de tulipes, s'excusa d'interrompre la lecture d'un aussi savant personnage.
--?Ma?tre, dit-il, voici le tr��sor des tr��sors, la merveille des merveilles, un oignon comme il n'en fleurit jamais qu'un par si��cle dans le s��rail de l'empereur de Constantinople!
--Une tulipe! s'��cria le vieillard courrouc��, une tulipe! ce symbole de l'orgueil et de la luxure qui ont engendr�� dans la malheureuse cit�� de Wittemberg la d��testable h��r��sie de Luther et de M��lanchton!?
Ma?tre Huylten agrafa le fermail de sa bible, rangea ses lunettes dans leur ��tui, et tira le rideau de la fen��tre, qui laissa voir au soleil une fleur de la passion avec sa couronne d'��pine, son ��ponge, son fouet, ses clous et les cinq plaies de Notre-Seigneur.
Le marchant de tulipes s'inclina respectueusement et en silence, d��concert�� par un regard inquisiteur du duc d'Albe dont le portrait, chef-d'oeuvre d'Holbein, ��tait appendu �� la muraille.

VI
LES DOIGTS DE LA MAIN.
Une honn��te famille o�� il n'y a jamais eu de banqueroute, o�� personne n'a jamais ��t�� pendu.
La parent�� de Jean de Nivelle.
Le pouce est ce gras cabaretier flamand, d'humeur goguenarde et grivoise, qui fume sur sa porte, �� l'enseigne de la double bi��re de mars.
L'index est sa femme, virago s��che comme une merluche, qui d��s le matin soufflette sa servante dont elle est jalouse, et caresse la bouteille dont elle est amoureuse.
Le doigt du milieu est leur fils, compagnon d��grossi �� la hache, qui serait soldat s'il n'��tait brasseur, et qui serait cheval s'il n'��tait homme.
Le doigt de l'anneau est leur fille, leste et aga?ante Zerbine qui vend des dentelles aux dames et ne vend pas ses sourires aux cavaliers.
Et le doigt de l'oreille est le Benjamin de la famille, marmot pleureur, qui toujours se trimballa �� la ceinture de sa m��re comme un petit enfant pendu au croc d'une ogresse.
Les cinq doigts de la main sont la plus mirobolante girofl��e �� cinq feuilles qui ait jamais brod�� les parterres de la noble cit�� de Harlem.

VII
LA VIOLE DE GAMBA.
Il reconnut, �� n'en pouvoir douter, la figure bl��me de son ami intime Jean-Gaspard Dehureau, le
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