Gaspard de la nuit | Page 3

Louis Bertrand
un Dijon d'autrefois.
?J'eus bient?t d��blay�� le Dijon des quatorzi��me et quinzi��me si��cles, autour duquel courait un branle de dix-huit tours, de huit portes et de quatre poternes ou portelles,--le Dijon de Philippe-le-Hardi, de Jean-sans-Peur, de Philippe-le-Bon et de Charles-le-T��m��raire, avec ses maisons de torchis �� pignons pointus comme le bonnet d'un fou, �� fa?ades barr��es de croix de Saint-Andr��; avec ses h?tels embastill��s, �� ��troites barbacanes, �� doubles guichets, �� pr��aux pav��s de hallebardes:--avec ses ��glises, sa sainte chapelle, ses abbayes, ses monast��res, qui faisaient des processions de clochers, de fl��ches, d'aiguilles, d��ployant pour banni��res leurs vitraux d'or et d'azur, promenant leurs reliques miraculeuses, s'agenouillant aux cryptes sombres de leurs martyrs, ou au reposoir fleuri de leurs jardins;--avec son torrent de Suzon dont le cours, charg�� de poncels de bois et de moulins �� farine, s��parait le territoire de l'abb�� de Saint-B��nigne du territoire de l'abb�� de Saint-��tienne, comme un huissier au parlement jetait sa verge et son hol�� entre deux plaideurs bouffis de col��re[8];--et enfin avec ses faubourg populeux dont l'un, celui de St-Nicolas, ��talait ses douze rues au soleil, ni plus ni moins qu'une grasse truie en g��sine ses douze mamelles.--J'avais galvanis�� un cadavre et ce cadavre s'��tait lev��.
?Dijon se l��ve; il se l��ve, il marche, il court! trente dindelles carillonnent dans un ciel bleu d'outremer comme en peignait le vieil Albert D��rer. La foule se presse aux h?telleries de la rue Bouchepot, aux ��tuves de la porte aux Chanoines, au mail de la rue St-Guillaume, au change de la rue Notre-Dame, aux fabriques d'armes de la rue des Forges, �� la fontaine de la place des Cordeliers, au four banal de la rue de B��ze, aux halles de la place Champeaux, au gibet de la place Morimont; bourgeois, nobles, vilains, soudrilles, pr��tres, moines, clercs, marchands, varlets, juifs, lombards, p��lerins, m��nestrels, officiers du parlement et de la chambre des comptes, officiers des gabelles, officiers de la maison du duc: qui clament, qui sifflent, qui chantent, qui geignent, qui prient, qui maugr��ent,--dans les basternes, dans des liti��res, �� cheval, sur des mules, sur la haquen��e de saint Fran?ois.--Et comment douter de cette r��surrection? Voici flotter aux vents l'��tendard de soie, moiti�� vert, moiti�� jaune, broch�� des armoiries de la ville qui sont de gueules au pampre d'or feuill�� de sinople[9].
?Mais quelle est cette cavalcade? c'est le duc qui va s'��battre �� la chasse. D��j�� la duchesse l'a pr��c��d�� au chateau de Rouvres. Le magnifique ��quipage et le nombreux cort��ge! Monseigneur le duc ��peronne un gris pommel�� qui frissonne �� l'air vif et piquant du matin. Derri��re lui caracolent et se pavanent les Riches de Chalons, les Nobles de Vienne, les Preux de Vergy, les Fiers de Neuchatel, les _bons Barons_ de Beaufremont.--Et ces deux personnages qui chevauchent �� la queue de la file? Le plus jeune, que distinguent son juste-au-corps de velours sang-de-boeuf et sa marotte grelottante, s'��gosille de rire; le plus vieux, accoutr�� d'une cape de drap noir sous laquelle il retrait un volumineux psautier, baisse la t��te d'un air confus: l'un est le roi des Ribauds, l'autre est le chapelain du duc[10]. Le fou propose au sage des questions que celui-ci ne peut r��soudre; et tandis que la populace crie No?l!--que les palefrois hennissent, que les limiers aboient, que les cors fanfarent, eux, la bride sur le cou de leurs montures �� l'amble, devisent famili��rement de la sage dame Judith et du preudhomme Machab��e.
?Cependant un h��raut sonne de la buccine sur la tour du logis du duc. Il signale dans la plaine les chasseurs lan?ant leurs faucons. Le temps est pluvieux; une brume grisatre lui d��robe au loin l'abbaye de Citeaux qui baigne ses bois dans les mar��cages; mais un rayon de soleil lui montre plus rapproch��s et plus distincts le chateau de Talant, dont les terrasses et les plates-formes se cr��n��lent dans la nue,--les manoirs du sire de Ventoux et du seigneur de Fontaine, dont les girouettes percent des massifs de verdure,--le monast��re de Saint-Maur dont les colombiers s'aiguisent au milieu d'une vol��e de pigeons,--la l��proserie de St-Apollinaire qui n'a qu'une porte et n'a point de fen��tres,--la chapelle de St-Jacques de Trimolois, qu'on dirait un p��lerin cousu de coquilles;--et sous les murs de Dijon, au-del�� des meix de l'abbaye de St-B��nigne, le clo?tre de la Chartreuse, blanc comme le froc des disciples de saint Bruno.
?La Chartreuse de Dijon! le Saint-Denis des ducs de Bourgogne[11]! Ah! pourquoi faut-il que les enfants soient jaloux des chefs-d'oeuvres de leurs p��res! Allez maintenant o�� fut la Chartreuse, vos pas y heurteront sous l'herbe des pierres qui ont ��t�� des clefs de vo?tes, des tabernacles d'autels, des chevets de tombeaux, des dalles d'oratoires; des pierres o�� l'encens a fum��, o�� la cire a br?l��, o�� l'orgue a murmur��, o�� les ducs morts ont pos�� le front.--O n��ant de la grandeur et
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