Fort comme la mort | Page 6

Guy de Maupassant
sous la chevelure dor��e, avec le noir aust��re du v��tement.
Elle vint donc le lendemain avec son mari, et les jours suivants avec sa fille, qu'on asseyait devant une table charg��e de livres d'images.
Olivier Bertin, selon sa coutume, se montrait fort r��serv��. Les femmes du monde l'inqui��taient un peu, car il ne les connaissait gu��re. Il les supposait en m��me temps rou��es et niaises, hypocrites et dangereuses, futiles et encombrantes. Il avait eu, chez les femmes du demi-monde, des aventures rapides dues �� sa renomm��e, �� son esprit amusant, �� sa taille d'athl��te ��l��gant et �� sa figure ��nergique et brune. Il les pr��f��rait donc et aimait avec elles les libres allures et les libres propos, accoutum�� aux moeurs faciles, drolatiques et joyeuses des ateliers et des coulisses qu'il fr��quentait. Il allait dans le monde pour la gloire et non pour le coeur, s'y plaisait par vanit��, y recevait des f��licitations et des commandes, y faisait la roue devant les belles dames complimenteuses, sans jamais leur faire la cour. Ne se permettant point pr��s d'elles les plaisanteries hardies et les paroles poivr��es, il les jugeait b��gueules, et passait pour avoir bon ton. Toutes les fois qu'une d'elles ��tait venue poser chez lui, il avait senti, malgr�� les avances qu'elle faisait pour lui plaire, cette disparit�� de race qui emp��che de confondre, bien qu'ils se m��lent, les artistes et les mondains. Derri��re les sourires et derri��re l'admiration, qui chez les femmes est toujours un peu factice, il devinait l'obscure r��serve mentale de l'��tre qui se juge d'essence sup��rieure. Il en r��sultait chez lui un petit sursaut d'orgueil, des mani��res plus respectueuses, presque hautaines, et �� c?t�� d'une vanit�� dissimul��e de parvenu trait�� en ��gal par des princes et des princesses, une fiert�� d'homme qui doit �� son intelligence une situation analogue �� celle donn��e aux autres par leur naissance. On disait de lui, avec une l��g��re surprise: ?Il est extr��mement bien ��lev��!? Cette surprise, qui le flattait, le froissait en m��me temps, car elle indiquait des fronti��res.
La gravit�� voulue et c��r��monieuse du peintre g��nait un peu Mme de Guilleroy, qui ne trouvait rien �� dire �� cet homme si froid, r��put�� spirituel.
Apr��s avoir install�� sa petite fille, elle venait s'asseoir sur un fauteuil aupr��s de l'esquisse commenc��e, et elle s'effor?ait, selon la recommandation de l'artiste, de donner de l'expression �� sa physionomie.
Vers le milieu de la quatri��me s��ance, il cessa tout �� coup de peindre et demanda:
--Qu'est-ce qui vous amuse le plus dans la vie?
Elle demeura embarrass��e.
--Mais je ne sais pas! Pourquoi cette question?
--Il me faut une pens��e heureuse dans ces yeux-l��, et je ne l'ai pas encore vue.
--Eh bien, tachez de me faire parler, j'aime beaucoup causer.
--Vous ��tes gaie?
--Tr��s gaie.
--Causons, Madame.
Il avait dit ?causons, Madame? d'un ton tr��s grave; puis, se remettant �� peindre, il tata avec elle quelques sujets, cherchant un point sur lequel leurs esprits se rencontreraient. Ils commenc��rent par ��changer leurs observations sur les gens qu'ils connaissaient, puis ils parl��rent d'eux-m��mes, ce qui est toujours la plus agr��able et la plus attachante des causeries.
En se retrouvant le lendemain, ils se sentirent plus �� l'aise, et Bertin, voyant qu'il plaisait et qu'il amusait, se mit �� raconter des d��tails de sa vie d'artiste, mit en libert�� ses souvenirs avec le tour d'esprit fantaisiste qui lui ��tait particulier.
Accoutum��e �� l'esprit compos�� des litt��rateurs de salon, elle fut surprise par cette verve un peu folle, qui disait les choses franchement en les ��clairant d'une ironie, et tout de suite elle r��pliqua sur le m��me ton, avec une grace fine et hardie.
En huit jours elle l'eut conquis et s��duit par cette bonne humeur, cette franchise et cette simplicit��. Il avait compl��tement oubli�� ses pr��jug��s contre les femmes du monde, et aurait volontiers affirm�� qu'elles seules ont du charme et de l'entrain. Tout en peignant, debout devant sa toile, avan?ant et reculant avec des mouvements d'homme qui combat, il laissait couler ses pens��es famili��res, comme s'il e?t connu depuis longtemps cette jolie femme blonde et noire, faite de soleil et de deuil, assise devant lui, qui riait en l'��coutant et qui lui r��pondait gaiement avec tant d'animation qu'elle perdait la pose �� tout moment.
Tant?t il s'��loignait d'elle, fermait un oeil, se penchait pour bien d��couvrir tout l'ensemble de son mod��le, tant?t il s'approchait tout pr��s pour noter les moindres nuances de son visage, les plus fuyantes expressions, et saisir et rendre ce qu'il y a dans une figure de femme de plus que l'apparence visible, cette ��manation d'id��ale beaut��, ce reflet de quelque chose qu'on ne sait pas, l'intime et redoutable grace propre �� chacune, qui fait que celle-l�� sera aim��e ��perdument par l'un et non par l'autre.
Un apr��s-midi, la petite fille vint se planter devant la toile, avec un grand s��rieux d'enfant, et demanda:
--C'est maman, dis?
Il la prit dans ses bras pour
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