qui s'éveille le besoin d'être aimée.
Elle lui disait des choses flatteuses qui signifiaient: «Je vous trouve fort
bien, Monsieur», et elle le faisait parler longtemps, pour lui montrer, en
l'écoutant avec attention, combien il lui inspirait d'intérêt. Il cessait de
peindre, s'asseyait près d'elle, et, dans cette surexcitation d'esprit que
provoque l'ivresse de plaire, il avait des crises de poésie, de drôlerie ou
de philosophie, suivant les jours.
Elle s'amusait quand il était gai; quand il était profond, elle tâchait de le
suivre en ses développements, sans y parvenir toujours; et lorsqu'elle
pensait à autre chose, elle semblait l'écouter avec des airs d'avoir si bien
compris, de tant jouir de cette initiation, qu'il s'exaltait à la regarder
l'entendre, ému d'avoir découvert une âme fine, ouverte et docile, en
qui la pensée tombait comme une graine.
Le portrait avançait et s'annonçait fort bien, le peintre étant arrivé à
l'état d'émotion nécessaire pour découvrir toutes les qualités de son
modèle, et les exprimer avec l'ardeur convaincue qui est l'inspiration
des vrais artistes.
Penché vers elle, épiant tous les mouvements de sa figure, toutes les
colorations de sa chair, toutes les ombres de la peau, toutes les
expressions et les transparences des yeux, tous les secrets de sa
physionomie, il s'était imprégné d'elle comme une éponge se gonfle
d'eau; et transportant sur sa toile cette émanation de charme troublant
que son regard recueillait, et qui coulait, ainsi qu'une onde, de sa
pensée à son pinceau, il en demeurait étourdi, grisé comme s'il avait bu
de la grâce de femme.
Elle le sentait s'éprendre d'elle, s'amusait à ce jeu, à cette victoire de
plus en plus certaine, et s'y animait elle-même.
Quelque chose de nouveau donnait à son existence une saveur nouvelle,
éveillait en elle une joie mystérieuse. Quand elle entendait parler de lui,
son coeur battait un peu plus vite, et elle avait envie de dire,--une de
ces envies qui ne vont jamais jusqu'aux lèvres--: «Il est amoureux de
moi.» Elle était contente quand on vantait son talent, et plus encore
peut-être quand on le trouvait beau. Quand elle pensait à lui, toute seule,
sans indiscrets pour la troubler, elle s'imaginait vraiment s'être fait là un
bon ami, qui se contenterait toujours d'une cordiale poignée de mains.
Lui, souvent, au milieu de la séance, posait brusquement la palette sur
son escabeau, allait prendre en ses bras la petite Annette, et tendrement
l'embrassait sur les yeux ou dans les cheveux, en regardant la mère,
comme pour dire: «C'est vous, ce n'est pas l'enfant que j'embrasse
ainsi.»
De temps en temps, d'ailleurs, Mme de Guilleroy n'amenait plus sa fille,
et venait seule. Ces jours-là on ne travaillait guère, on causait
davantage.
Elle fut en retard un après-midi. Il faisait froid. C'était à la fin de février.
Olivier était rentré de bonne heure, comme il faisait maintenant, chaque
fois qu'elle devait venir, car il espérait toujours qu'elle arriverait en
avance. En l'attendant, il marchait de long en large et il fumait, et il se
demandait, surpris de se poser cette question pour la centième fois
depuis huit jours. «Est-ce que je suis amoureux?» Il n'en savait rien, ne
l'ayant pas encore été vraiment. Il avait eu des caprices très vifs, même
assez longs, sans les prendre jamais pour de l'amour. Aujourd'hui il
s'étonnait de ce qu'il sentait en lui.
L'aimait-il? Certes, il la désirait à peine, n'ayant pas réfléchi à la
possibilité d'une possession. Jusqu'ici, dès qu'une femme lui avait plu,
le désir l'avait aussitôt envahi, lui faisant tendre les mains vers elle,
comme pour cueillir un fruit, sans que sa pensée intime eût été jamais
profondément troublée par son absence ou par sa présence.
Le désir de celle-ci l'avait à peine effleuré, et semblait blotti, caché
derrière un autre sentiment plus puissant, encore obscur et à peine
éveillé. Olivier avait cru que l'amour commençait par des rêveries, par
des exaltations poétiques. Ce qu'il éprouvait, au contraire, lui paraissait
provenir d'une émotion indéfinissable, bien plus physique que morale.
Il était nerveux, vibrant, inquiet comme lorsqu'une maladie germe en
nous. Rien de douloureux cependant ne se mêlait à cette fièvre du sang
qui agitait aussi sa pensée, par contagion. Il n'ignorait pas que ce
trouble venait de Mme de Guilleroy, du souvenir qu'elle lui laissait et
de l'attente de son retour. Il ne se sentait pas jeté vers elle, par un élan
de tout son être, mais il la sentait toujours présente en lui, comme si
elle ne l'eût pas quitté; elle lui abandonnait quelque chose d'elle en s'en
allant, quelque chose de subtil et d'inexprimable. Quoi? Était-ce de
l'amour? Maintenant, il descendait en son propre coeur pour voir et
pour comprendre. Il la trouvait charmante, mais elle ne répondait pas au
type de la femme idéale, que son espoir aveugle avait créé. Quiconque
appelle l'amour, a prévu les
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