Florence historique, monumentale, artistique | Page 9

Marcel Niké
ne fut que plus tard que ses panégyristes, en le proclamant ?Père de la Patrie, Bienfaiteur du peuple?, eurent l'idée de le représenter rentrant dans la ville triomphalement porté sur les épaules de ses concitoyens.
Cosme, ma?tre du pouvoir, continua à proscrire sans pitié tous ceux contre lesquels il nourrissait quelque ressentiment; mais estimant avec une justesse de vue rare qu'il ne régnait que grace à l'opinion et à la guerre constante faite par sa famille à l'oligarchie, il s'appuya sur le menu peuple, et l'assouvissement de ses vengeance personnelles passa pour une satisfaction accordée à la haine générale. Grace au point d'appui qu'il prit constamment sur la démocratie, il arriva à transformer son pouvoir d'influence en pouvoir d'autocratie, oeuvre de patience hypocrite et lente, à laquelle son caractère était singulièrement porté. Telle était son astuce qu'alors qu'il était le ma?tre de Florence, aucun acte public, aucune pièce ne furent revêtus de sa signature; mais son pouvoir occulte n'en était que plus redoutable.
A ce moment, les traits communs entre Cosme et Octave s'accentuent encore. Cosme en effet ne devint clément, comme Auguste, que lorsque, après son nivelage terrible, il n'eut plus rien à redouter. A Florence, comme autrefois à Rome, la République n'existait plus que de nom, bien que ces deux grandes ambitions eussent également affecté d'en respecter la forme; et le succès de ce travail souterrain fut tel qu'à la mort de Cosme, son fils Pierre, incapable et impotent, héritait sans difficulté de ses fonctions.
De 1453 à cet avènement, le gouvernement tourna de plus en plus à l'autocratie. Toute opposition avait disparu, décimée, fauchée, proscrite, et les Médicis n'avaient plus à lutter que contre les idées souvent trop avancées de leurs propres partisans.
Un des chefs les plus considérables de ces factions cosimesques était Lucca Pitti, qui, nommé plusieurs fois gonfalonier, était l'ame damnée de Cosme et lui était plus dévoué que tout autre. Grisé par l'apparente prépondérance que Cosme lui abandonnait volontairement, il voulut, à défaut d'autorité, éclipser les Médicis par son luxe. A cet effet, il commanda à Brunelleschi le fameux palais appelé encore de son nom et pour la construction duquel tout criminel, tout individu coupable de vol ou de meurtre, trouvait, en s'employant à la batisse, un asile inviolable. Quoique Pitti e?t tiré un large parti du régime de l'arbitraire pour mener son édifice à bien, il dut l'abandonner inachevé, car il était devenu la ruine de sa maison.
Malgré tout son pouvoir, Cosme, arrivé au déclin de sa vie, n'était pas heureux. Après avoir réalisé une fortune extraordinaire, puissant au dedans, respecté au dehors, il souffrait d'infirmités qui le torturaient, sans lui laisser un instant de répit.
En 1450, il avait perdu son frère Lorenzo, dont la postérité était destinée à remplacer la sienne. En 1463, la mort de son cadet, Jean, anéantissait ses plus chères espérances, car son fils a?né, Pierre, était si débile qu'on n'avait jamais présumé qu'il p?t lui survivre, et tout l'avenir de sa maison se trouvait reposer sur les têtes fragiles des enfants de Pierre, ses petits-fils Laurent et Julien. Quand Cosme mourut en 1464, à sa villa de Carreggi, ce fut dans un isolement complet, et on célébra par des réjouissances publiques le retour de la liberté qu'on pensait avoir reconquise. C'était se réjouir trop t?t, car Florence ne gagnait, à la mort de Cosme, que de passer sous la domination d'un fils qui lui était plus qu'inférieur. Ce ne fut que plus tard, et par comparaison, qu'elle jugea de la différence et que les Florentins, pleins de regrets rétrospectifs, décernèrent à Cosme le surnom pompeux de ?Père de la Patrie?, si mal justifié du reste.
Au point de vue littéraire, l'époque de Cosme fut incomparable. Les Médicis eurent la rare fortune d'arriver à point nommé pour récolter l'admirable moisson préparée sous la République par des siècles de régime libéral, dont ils eurent l'intelligence de s'approprier les fleurs et les fruits. Par des soins éclairés et intelligents, en vingt ans, la ville avait complètement changé de physionomie et doublé d'étendue; elle s'était couverte d'églises, de monastères et de monuments somptueux. Cosme commandait à Michelozzo le superbe palais où allaient habiter ses successeurs jusqu'au jour où leur élévation au r?le de grands-ducs leur ferait aménager le palais Pitti, comme plus digne d'eux; enfin, à c?té de cette demeure terrestre, Cosme, préoccupé d'élever une sorte de Panthéon aux manes de sa famille, édifiait l'église San Lorenzo qu'il consacrait à cette destination. Véritable Mécène, il s'était entouré de savants, de poètes, de philosophes ou d'artistes, dont il était devenu l'ami plus encore que le protecteur.
Sa mort devait être le signal d'une réaction violente, à laquelle la personne même de son successeur donnait plus de prise, car Pierre, à quarante-six ans, était déjà un podagre pliant sous le poids des infirmités. Il avait l'esprit borné, il était
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