Là, répondit le gardien, en montrant de la main un homme qui se promenait d'un pas méditatif sous les arbres en arrière du pavillon.
-- M. le comte d'Artigas a été autorisé à visiter Healthful-House, et il n'a pas voulu repartir sans avoir vu Thomas Roch dont on n'a que trop parlé ces derniers temps...
-- Et dont on parlerait bien davantage, répondit le comte d'Artigas, si le gouvernement fédéral n'e?t pris la précaution de l'enfermer dans cet établissement...
-- Précaution nécessaire, monsieur le comte.
-- Nécessaire, en effet, monsieur le directeur, et mieux vaut que le secret de cet inventeur s'éteigne avec lui, pour le repos du monde.?
Après avoir regardé le comte d'Artigas, Gaydon n'avait plus prononcé une seule parole, et, précédant les deux étrangers, il se dirigea vers le massif au fond de l'enclos.
Les visiteurs n'eurent que quelques pas à faire pour se trouver en face de Thomas Roch.
Thomas Roch ne les avait pas vus venir, et, lorsqu'ils furent à courte distance de lui, il est présumable qu'il ne remarqua point leur présence.
Entre temps, le capitaine Spade, sans donner prise aux soup?ons, ne cessait d'examiner la disposition des lieux, la place occupée par le pavillon 17 en cette partie inférieure du parc de Healthful-House. Lorsqu'il eut remonté les allées en pente, il distingua aisément l'extrémité d'une mature qui pointait au-dessus du mur d'enceinte. Pour reconna?tre la mature de la goélette Ebba, il lui suffit d'un coup d'oeil, et il put s'assurer ainsi que, de ce c?té, le mur longeait la rive droite de la Neuze.
Cependant le comte d'Artigas observait l'inventeur fran?ais. Chez cet homme, vigoureux encore, -- il le reconnut, -- la santé ne paraissait pas avoir souffert d'une séquestration qui durait depuis dix-huit mois déjà. Mais son attitude bizarre, ses gestes incohérents, son oeil hagard, son inattention à tout ce qui se faisait autour de lui, ne dénotaient que trop un complet état d'inconscience et un abaissement profond des facultés mentales.
Thomas Roch venait de s'asseoir sur un banc, et du bout d'une badine qu'il tenait à la main, il tra?a sur l'allée un profil de fortification. Puis, s'agenouillant, il fit de petites meules de sable qui figuraient évidemment des bastions. Alors, après avoir détaché quelques feuilles d'un arbuste voisin, il les planta sur la pointe des meules, comme autant de drapeaux minuscules, -- tout cela sérieusement, sans qu'il se f?t en aucune fa?on préoccupé des personnes qui le regardaient.
C'était là un jeu d'enfants, mais un enfant n'aurait pas eu cette gravité caractéristique.
?Est-il donc absolument fou?... demanda le comte d'Artigas, qui, malgré son impassibilité habituelle, parut ressentir quelque désappointement.
-- Je vous ai prévenu, monsieur le comte, qu'on ne pouvait rien en obtenir, répondit le directeur.
-- Ne saurait-il au moins nous prêter quelque attention?...
-- L'y décider sera peut-être difficile.? Et, se retournant vers le gardien: ?Adressez-lui la parole, Gaydon, et peut-être, en entendant votre voix, viendra-t-il à vous répondre?...
-- Il me répondra, soyez-en certain, monsieur le directeur?, dit Gaydon. Puis, touchant son pensionnaire à l'épaule: ?Thomas Roch?...? pronon?a-t-il d'un ton assez doux.
Celui-ci releva la tête, et, de toutes les personnes présentes, il ne vit sans doute que son gardien, bien que le comte d'Artigas, le capitaine Spade qui venait de se rapprocher, et le directeur formassent cercle autour de lui.
?Thomas Roch, dit Gaydon, qui s'exprimait en anglais, voici des étrangers désireux de vous voir... Ils s'intéressent à votre santé... à vos travaux...?
Ce dernier mot fut le seul qui parut tirer l'inventeur de son indifférence.
?Mes travaux?...? répliqua-t-il en cette même langue anglaise qu'il parlait comme sa langue originelle.
Prenant alors un caillou entre son index et son pouce repliés, comme une bille entre les doigts d'un gamin, il le projeta contre une des meules de sable et l'abattit. Un cri de joie lui échappa.
?Par terre!... Le bastion par terre!... Mon explosif a tout détruit d'un seul coup!?
Thomas Roch s'était relevé, le feu du triomphe brillait dans ses yeux.
?Vous le voyez, dit le directeur en s'adressant au comte d'Artigas, l'idée de son invention ne l'abandonne jamais...
-- Et mourra avec lui! affirma le gardien.
-- Ne pourriez-vous, Gaydon, l'amener à causer de son Fulgurateur?...
-- Si vous m'en donnez l'ordre, monsieur le directeur... j'essaierai...
-- Je vous le donne, car je crois que cela peut intéresser le comte d'Artigas...
-- En effet, répondit le comte d'Artigas, sans que sa froide physionomie laissat rien voir des sentiments qui l'agitaient.
-- Je dois vous prévenir que je risque d'occasionner une nouvelle crise... fit observer le gardien.
-- Vous arrêterez la conversation lorsque vous le jugerez convenable. Dites à Thomas Roch qu'un étranger désire traiter avec lui de l'achat de son Fulgurateur...
-- Mais ne craignez-vous pas que son secret ne lui échappe?...? répliqua le comte d'Artigas.
Et cela fut dit avec tant de vivacité que Gaydon ne put retenir un regard de défiance dont ne parut point s'inquiéter cet impénétrable personnage.
?Il n'y a rien à craindre, répondit-il,
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