Fables et légendes du Japon | Page 8

Claudius Ferrand
et retourna dans son gîte, pour ruminer son plan.
Le blaireau, dans son terrier, s'ennuyait à mourir. A quelque temps de
là, le lièvre vint le voir:
--Camarade, lui dit-il en entrant, que se passe-t-il donc? On ne te voit
plus dans les champs. Serais-tu par hasard malade?
Le blaireau ne voulut pas expliquer à son visiteur le vrai motif pour
lequel il se tenait caché, et lui répondit qu'en effet, il se sentait un peu
malade.
--Mon cher, repartit alors le lièvre, ce n'est pas en restant ainsi enfermé
que tu te guériras. Regarde quel temps splendide nous avons
aujourd'hui! Voyons! ne viens-tu pas faire avec moi un tour de
promenade? Nous irons à la montagne où nous ramasserons du menu
bois.
Le blaireau, d'un côté, s'ennuyait à mourir. De l'autre, il n'avait aucun
motif de soupçonner le joli lièvre blanc de lui vouloir du mal. Ce fut
donc sans hésiter qu'il accepta la proposition. Ils partent bras dessus
bras dessous, s'en vont dans la montagne, ramassent de menus
branchages, en font des fagots et se les attachent mutuellement sur le
dos. Puis, ils se disposent à redescendre. Le lièvre avait apporté un
briquet: car le lièvre avait son plan. Profitant d'un moment où son
compagnon est distrait, il passe doucement, derrière lui, bat le briquet
pour en tirer du feu: «Katchikatchi», fait le briquet.
Le blaireau entend, et sans se retourner:
--Lièvre, demande-t-il, qu'est-ce qui a fait «Katchikatchi» derrière moi?
--Ce n'est rien, répond l'autre. La montagne où nous sommes s'appelle

Katchikatchi; c'est son nom que tu as cru entendre!
Tout en parlant ainsi, le lièvre a mis le feu au fagot du blaireau. La
flamme en crépitant fait «Ka-pika». Le blaireau demande encore:
--Qu'est-ce qui a fait «Ka-pika» derrière moi?
--Oh! ce n'est rien, répond le lièvre. La montagne où nous sommes
s'appelle aussi Ka-pika; c'est son nom que tu as cru entendre!
Le fagot brûlait... La flamme atteignit bientôt les poils du blaireau. A la
première sensation de la douleur, celui-ci poussa un cri d'effroi! Puis, la
souffrance devenant de plus en plus cuisante, il se roula sur le sol, avec
des contorsions horribles; enfin, n'en pouvant plus, il se précipita au bas
de la montagne, et s'enfuit dans sa tanière, où il passa la nuit dans
d'affreuses tortures.
Le lendemain matin, le lièvre vint lui faire une seconde visite:
--Camarade, lui dit-il, avec une tendresse feinte, il t'est survenu hier une
aventure fort désagréable! J'ai eu pitié de toi. Je suis allé trouver un
pharmacien de mes amis. Il m'a remis ce remède. Bois-le ce soir, avant
de t'endormir, et demain tes souffrances auront complètement disparu.
Et il lui tendit une petite fiole, laquelle contenait un poison très violent,
qu'il avait lui-même préparé avec des herbes de la montagne. Le
blaireau, qui ne soupçonnait pas son ami d'avoir à son égard de
mauvaises intentions, accepta sans méfiance aucune le soi-disant
remède. Le lièvre lui souhaita alors bonne chance, et le saluant
profondément, retourna dans son gîte, jouissant en son coeur du succès
de sa ruse.
Le blaireau avala le poison. Aussitôt il éprouva dans tout son corps une
brûlure épouvantable. Il se tordit comme un ver, au milieu d'atroces
souffrances et se mit à pousser des cris déchirants. Le lendemain, à
l'aurore, le lièvre vint voir si le blaireau était mort. Celui-ci n'était pas
mort encore, car les blaireaux ont la vie dure. Il était couché et souffrait
horriblement.

Le lièvre jugea alors que l'occasion était on ne peut plus favorable pour
assouvir sa vengeance:
--Blaireau, lui cria-t-il, tu te souviens sans doute de la vieille Tora, que
tu as assommée et fait manger à son mari. Eh bien, apprends que les
dieux punissent toujours le crime. C'est moi qu'ils ont choisi comme
instrument de leur vengeance. C'est moi qui ai mis le feu à ton fagot de
bois au mont Katchikatchi. Ce remède que je t'ai apporté hier est un
violent poison que je t'avais moi-même préparé pour te faire mourir.
Meurs donc! Et que Gombéiji et Tora soient vengés!
Il dit, et saisissant une grosse pierre, il en assomma le blaireau, qui ne
tarda pas à rendre le dernier soupir...
[Illustration: Le blaireau ne tarda pas à rendre le dernier soupir]
Le lièvre, après avoir accompli sa mission, se rendit de ce pas chez le
vieux et la vieille qui l'attendaient dans leur cabane. Il leur raconta dans
tous les détails l'histoire de la vengeance. Les braves gens furent bien
heureux d'apprendre la mort de leur ennemi. Grande fut leur
reconnaissance à l'égard du joli lièvre blanc qui les avait vengés. Ils
l'adoptèrent pour leur fils, l'appelèrent Usagidono, l'aimèrent et le
traitèrent bien. Le lièvre commença dès lors à leur rendre toutes sortes
de services.
La veuve du blaireau vivait, avec ses deux enfants, dans
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