Fêtes et coutumes populaires | Page 9

Charles le Goffic
de la deuxième grandeur, puis s'enfon?a dans les espaces et s'y évanouit insensiblement. Le professeur Anderson pensait n'avoir affaire qu'à un vulgaire satellite de Persée.
?Erreur! s'écria le professeur Tuttle, de Newhaven. J'ai observé aussi celle que vous nommez une Persé?de et que vous prétendez n'être jamais apparue aux hommes. Erreur, six fois erreur! Vous dis-je. Mes calculs m'ont permis de retrouver dans l'éphémère visiteuse une vieille connaissance de nos pères, l'étoile même qui guida vers Bethléem les mages de la Chaldée, qui reparut en 316, en 633, en 950, en 1267, et que Tycho-Brahé, pour la dernière fois, observa en 1584. L'intervalle requis pour la réapparition périodique de l'étoile est de 317 ans. Ajoutez 317 à 1584, vous obtiendrez 1901. Ce qu'il fallait démontrer...?
Qui avait raison, du professeur Tuttle ou du professeur Anderson? Et, tout de même, si ?'avait été M. Tuttle! S'il était vrai que nos regards, après vingt siècles écoulés, eussent pu contempler cette douce annonciatrice des temps nouveaux! Comme nous l'eussions avidement cherchée dans le ciel, pieusement saluée entre toutes ses soeurs! Mais M. Tuttle ne nous a communiqué sa découverte qu'après coup et quand l'étoile des mages s'était évanouie. Légende ou vérité, nous ne saurons jamais ce qu'il en fallait penser exactement...
C'est en commémoration de cette apparition de l'étoile aux rois mages, Balthazar, Melchior et Gaspard, et de la visite qui s'ensuivit aux lieux solennisés par la naissance de Jésus, que l'église a institué la fête de l'épiphanie, ainsi nommée des deux mots grecs: épi (sur) et phanéi? (révélation). Dans le langage courant on l'appelle la Fête des Rois, et vous savez de quelle aimable cérémonie elle est le prétexte aujourd'hui encore. à table, au dernier service, on apporte une énorme galette dont les morceaux sont répartis à la ronde entre les convives de tout age. Celui qui trouve la fève dans sa part est proclamé roi, et, pour célébrer cette royauté éphémère, l'assistance se lève en criant: Le Roi boit!...
On a dit de la galette épiphanique qu'elle défiait tous les changements de régimes et les pires bouleversements sociaux. C'est ainsi qu'en 93 les patissiers de la Révolution ne se laissèrent pas embarrasser par la chute de la royauté: en guise de galette des rois, ils fabriquèrent seulement des galettes de la Liberté. De nos jours même, où les vieilles traditions s'abolissent, les galettes épiphaniques font encore l'objet d'un commerce lucratif. Mais les patissiers n'en ont plus le monopole; les boulangers en fabriquent également, qu'ils offrent en étrennes à leurs clients de l'année. Il n'y a qu'une petite modification à la classique galette de jadis, et c'est que la fève y est remplacée par une poupée de porcelaine. Je ne sais pas si nous avons beaucoup gagné au change, mais je sais qu'il est des machoires à qui cette substitution n'a pas laissé de causer certaines disgraces imprévues. Un boulanger, à qui je faisais part de mes scrupules, me disait qu'on s'y était décidé pour éviter toute espèce de fraude: il para?t qu'au temps de la fève certains convives peu délicats préféraient avaler sans rien dire ce gros légume indigeste et se dérober aux charges d'une royauté dispendieuse.
[Illustration: LE CORTèGE DES ROIS MAGES. Fresque de Bennozo Gazzoli (1420-1498) dans la chapelle du palais Riccardi, à Florence.]
Si telle est la raison véritable du changement, je me demande de quoi se mêlent les patissiers et boulangers. C'est prendre bien souci de nos intérêts que de substituer, sans que personne l'ait réclamé, à l'innocente fève de jadis un ?petit baigneur? qui craque sous la dent quelquefois, mais quelquefois aussi dispara?t sans dire gare dans notre intestin menacé par lui d'une facheuse appendicite.
Les campagnes, sur ce point, sont restées autrement fidèles à l'usage. Je vous contais plus haut l'odyssée de ces petits mendiants chanteurs de No?l qui s'en vont par les routes, en Bretagne, chantant l'Aguilé aux portes des métairies. L'épiphanie a aussi sa chanson spéciale. Mais on ne la chante plus guère, à ma connaissance, que dans l'Orne, la Seine-Inférieure et les Ardennes: c'est la chanson des Evangueus.
Donnez, donnez la part à Dieu: Nous vous dirons les Evangueus, Les Evangueus de Notre-Seigneur. Je l'ai vu vif, je l'ai vu meurt (mort), Dessus la croix, ce roi fidèle, Qui nous éclaire à trois chandelles...
Les Evangueus, c'est-à-dire les évangiles (primitivement evangeles),--souvenir du temps où les quêteurs de la part à Dieu étaient de pauvres récollets qui, en échange de l'aum?ne re?ue, s'asseyaient à la mense hospitalière du donateur et y récitaient ce chef-d'oeuvre de poésie narrative qu'on appelle les évangiles apocryphes...
Bien entendu, la chanson des Evangueus a le même objet que l'Aguilé: savoir d'apitoyer les h?tes de la maison, d'obtenir d'eux quelque menu cadeau, oranges, chataignes, patisserie à bon marché. L'aum?ne se fait sur le pas de la porte: il n'y a que dans les Ardennes où les chanteurs d'Evangueus, fidèles
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