plus vil de ta part, c'est que tu cherches à me tirer les
vers du nez, comme on dit, pour en emmener deux au lieu d'un. Ah! je
te connais depuis longtemps, Camel.
CAMEL--Eh bien, faisons notre devoir alors. Je voudrais bien que ce
fût un autre que moi, père Poutré; mais comme on m'a choisi, il faut
bien que j'agisse.
POUTRÉ--Pas d'hypocrisie, Camel! tu viens chercher Félix, eh bien tu
t'en iras comme tu es venu; il n'y est pas. Et si tu as peur en t'en
retournant, ce qui arrive souvent, chante: «J'ai trouvé le nid du lièvre!»
cela t'empêchera peut-être de frissonner au bruit des feuilles. Ainsi
Félix n'y est pas; va-t'en, car je ne suis pas disposé à endurer plus
longtemps dans ma maison ta face de valet volontaire!
CAMEL--Père Poutré, voici un warrant qu'il faut que j'exécute; et
comme M. le colonel est informé que Félix est ici, car il le sait, c'est
inutile de le nier, je vais le chercher, père Poutré, car il faut que je le
trouve.
POUTRÉ--Eh bien, cherche.
CAMEL--Vous feriez mieux de vous épargner ce désagrément, père
Poutré. A quoi bon nier? Félix est arrivé ici aujourd'hui; on sait ce qui
se passe, allez. Pourquoi me forcer de faire le tour de la maison et de
fureter dans tous les coins?
POUTRÉ, prenant violemment le bras de Camel--Plus de paroles,
entends-tu? Quant je te dis que Félix n'y est pas, c'est que c'est vrai. Si
tu ne me crois pas, cherche! Fais ton infâme métier, et va-t'en vite. Tu
finiras bien par aller où tu envoies les autres, serpent! Ainsi fais ta
recherche!
CAMEL--Tenez, père Poutré, je sais que vous êtes incapable de
mentir . . .
POUTRÉ--Pas de flagorneries! Tu as un devoir à remplir, dis-tu? eh,
bien, fais-le vite et délivre-moi de ta présence.
CAMEL--Si vous me donnez seulement votre parole d'honneur que
Félix n'est pas ici, père Poutré, je m'en contenterai.
POUTRÉ--Cherche, lâche! laisse-moi tranquille avec tes avances! Je ne
veux pas te devoir même l'apparence d'un ménagement!
CAMEL--Je vois bien que toutes les recherches sont inutiles; le luron
est bien caché. Dans ce cas, père Poutré, je n'ai qu'un mot à dire. Votre
fils est un traître au gouvernement; il est caché; vous devez savoir où il
est, et puisque vous ne voulez pas le livrer j'ai le droit de vous arrêter
comme suspect et comme recelant un rebelle. (Il tire un sifflet de sa
poche, siffle et plusieurs soldats entrent.) Soldats, arrêtez cet homme!
(Les soldats obéissent.) Maintenant, père Poutré, vous allez être conduit
en prison, et vous ne serez libre que lorsque vous aurez déclaré où est
votre fils, et si vous ne le faites pas, vos propriétés seront brûlées, et la
loi se chargera de votre personne!
POUTRÉ--Infâme!
CAMEL--Silence! . . . Père Poutré, encore une fois, je vous somme au
nom de la loi de déclarer où est votre fils, Félix Poutré.
SCÈNE XI
Les Précédents, FÉLIX
FÉLIX, entrant--Le voici!
POUTRÉ--Mon Dieu!
CAMEL--Soldats, laissez cet homme, et arrêtez celui-ci. Félix Poutré,
au nom de la couronne d'Angleterre, je vous fais prisonnier. Vous allez
tenir compagnie à votre ami Béchard que je viens de faire arrêter.
FÉLIX--Pauvre Béchard, victime de son dévouement!
POUTRÉ--Qu'as-tu fait, mon pauvre Félix?
FÉLIX--Mon pauvre père, c'est moi qui ai tiré le vin, c'est à moi de le
boire'. Je ne consentirai jamais à ce que vous souffriez pour ce dont je
suis seul coupable. Pardonnez-moi tous les chagrins que je vous cause,
et laissons l'avenir entre les mains de la Providence; elle veillera sur les
jours de votre enfant. (Il l'embrasse.) Adieu! (Le rideau tombe.)
Acte III
Le décor représente l'intérieur de la prison de Montréal. De nombreux
prisonniers, parmi lesquels sont Cardinal et Duquette, Béchard et
Toinon, assis tristement. Félix est seul assis sur le devant de la scène.
SCÈNE I
FÉLIX--Eh bien, mon pauvre Félix, que te reste-t-il de tous tes beaux
rêves de gloire et de grandeur? . . . Quelle dérision que la destinée! . . .
Il y a quelques semaines, je me voyais bientôt bel officier armé de pied
en cap, pistolets à la ceinture, épée au côté ou bonne carabine au poing,
marchant triomphant à la tête d'un régiment de patriotes victorieux. Il
me semblait déjà entendre les acclamations du peuple sur mon passage:
on me nommait déjà l'un des libérateurs de mon pays! . . . Et
maintenant, pauvre insensé, je n'ai pour tout horizon que les murs d'un
cachot où sont entassés mes compagnons d'infortune, et le temps n'est
peut-être pas éloigné où je n'aurai d'autre piédestal que . . . la trappe
d'une potence . . . Perdu! . . . pendu! . . . voilà un mot qui n'est pas
agréable; le fait est que j'aimerais presque autant avoir

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.