Félix Poutré | Page 5

Louis Frechette
potence! S'il fallait
chasser quelqu'un du pays, c'est bien par les chenapans de ton espèce
qu'il faudrait commencer! . . . Mais Félix ne revient toujours pas . . .
pourvu qu'il ne lui soit point arrivé malheur . . . qui sait où sa mauvaise
tête peut le conduire . . . O mon Dieu, conservez-moi le seul espoir de
mes cheveux blancs! (Une troupe de patriotes entrent en chantant. Ils
sont armés de fourches, de faux et de mauvais fusils.)
SCÈNE IV
POUTRÉ, BÉCHARD, TOINON, PATRIOTES
POUTRÉ--Eh bien, Béchard? (Il lui serre la main.)

BÉCHARD--Et Félix?
POUTRÉ--Il n'est pas avec vous? Mon Dieu, qu'est-il devenu?
BÉCHARD--Il est parti hier soir, pour aller à Lacolle chercher des
fusils. Nous le cherchons; le temps presse; il devrait être de retour
depuis longtemps.
(Félix entre.)
SCÈNE V
Les Précédents, FÉLIX
BÉCHARD--Le voilà! Eh bien, Félix, voilà quatre heures que nous te
cherchons . . .
FÉLIX, découragé--Pas d'armes, pas d'armes! Pas un seul fusil, pas une
seule cartouche! . . . Mes amis, nous sommes trompés, vendus,
sacrifiés! . . . Où est-il, que je lui dise en face ce qu'il est? . . .
POUTRÉ--Qui donc?
FÉLIX--Le Dr Côté.
BÉCHARD--On dit qu'il est parti.
FÉLIX--Malédiction! J'arrive trop tard. Comment donc ai-je pu faire
pour ne me douter de rien? Oh! Le lâche! Il a mis sa peau en sûreté. Ah!
si j'eusse été ici, misérable, tu ne serais pas parti comme cela . . .
BÉCHARD--Personne ne l'a vu partir . . . On croit qu'il a dû filer avant
le jour.
FÉLIX--Le traître! . . . Écoutez-moi, mes amis, vous allez voir jusqu'où
peut aller la perfidie d'un homme! Vous savez toutes les belles
promesses qu'il nous avait faites . . . Et bien, après les désastreuses
attaques d'Odeltown, je me rendis à Napierville, chez le Dr Côté, et je
lui demandai si nous n'allions pas avoir des armes, et surtout des

canons. Que voulez que nous fassions, lui dis-je, sans canons, pour
déloger cette canaille-là de l'église? Si nous n'avons point d'armes,
mieux vaut tout abandonner. Quoiqu'il essayât de faire bonne
contenance, je vis bien à son expression embarrassée qu'il n'avait rien
de bon à m'apprendre, et je commençai à me douter que quelque chose
n'allait pas bien. Il me dit de revenir le voir. Je le quittai assez
mécontent. Nous allons voir ce que l'on va me dire ce soir, me dis-je à
moi-même. Il est temps que ces bêtises-là finissent. Aller se battre
contre des murs avec des balles! . . . Mais nous y serions encore dans
deux mois . . . Si nous eussions eu seulement deux petits canons! . . . Et
dire que depuis plus d'un mois on nous promet des armes! Et qu'au
moment critique, il ne nous est pas encore venu un seul fusil . . . Et tous
ces braves gens confiants et honnêtes qui sont là compromis par des
fous ou des traîtres! Car enfin, il n'y a pas de milieu; s'ils ont des armes
et qu'ils ne les fassent pas venir de suite, c'est une imbécillité qui n'a
pas de nom! S'ils n'en ont pas, ces hommes-là nous trahissent donc
depuis un mois! S'ils nous avaient dit de suite: nous ne pouvons pas
nous procurer des armes, est-ce que vous auriez songé à sortir de chez
vous?
PATRIOTES--Non! non!
TOINON--Ben, j'pense pas!
FÉLIX--Est-ce que nous sommes obligés de nous faire massacrer par
les soldats anglais, ou à danser au bout de la corde d'une potence pour
leur bon plaisir?
PATRIOTES--Non! non!
TOINON--Ben, j'pense pas! . . .
FÉLIX--Mais voici la fin de l'histoire. Le soir arrivé, je retournai chez
le Dr Côté. Je ne pus obtenir l'entrée. Vers neuf heures, je me présentai
de nouveau; même résultat. Cela devenait inexplicable. Enfin à 11
heures je partis, déterminé à passer sur le corps de dix hommes, s'il le
fallait, pour arriver à lui. A ma grande surprise, j'entrai sans difficulté.
«Mon cher Poutré, me dit Côté, nous venons d'être informés que les

troupes du gouvernement se dirigent sur Napierville. Elles sont encore
à huit lieues d'ici, et conséquemment elles arriveront demain sur les dix
ou onze heures du soir. Ils sont à peu près cinq mille hommes. Pars
immédiatement et rends-toi à Lacolle où les armes doivent être arrivées
maintenant. Il doit y avoir cinq mille fusils et des munitions. » Je me
donnai bien de garde d'attendre le jour. Je partis aussitôt pour Lacolle,
déterminé à remplir ma mission avec honneur. Chemin faisant, je
m'arrêtai à chaque maison où j'espérais trouver un cheval et une voiture,
et j'ordonnai plutôt que je ne demandai aux gens de me suivre pour
aller chercher ces armes si longtemps attendues. Arrivé à Lacolle, je
m'informai . . . Rien! . . . La réalité
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