Expéditions autour de ma tente | Page 4

Ch. Des Ecores
intérieurs.
Une installation de trois mois nécessite quelques difficultés dans le choix du terrain. Aussi n'est-ce qu'à la suite de profondes études qu'un résultat satisfaisant put être obtenu.
La porte est au sud, ce qui est assez dire que la face opposé est au nord. Croyant alors qu'il est inutile d'orienter les autres c?tés, j'ajouterai que le terrain, au sud, s'affaisse lentement vers une riante et boueuse rivière qui coule à cent pas d'ici.

II
L'AUTEUR
Le moi est ha?ssable, dit Balzac, et il a dit vrai. J'ignore s'il existe quelque chose de plus lourdement bête que le moi, et j'ajoute, avec énergie, que la fatuité et l'égo?sme sont deux malins compères, qui conspirent contre la tranquillité des humains.
Pas n'est besoin, comme vous le voyez, d'avoir recours à M. de la Palisse pour trouver ces graves vérités. Mais, grand Dieu! ce tribut payé à d'honnêtes maximes ne me permet pourtant pas de faire ici le portrait de mon voisin.
Il faut bien, pour la clarté des événements de ce voyage, que je me présente au public, et, au risque d'ennuyer Balzac, je parlerai un peu de moi dans ce chapitre. Aussi, m'y voilà.
Je suis né comme tout le monde d'un père et d'une mère. Ils n'étaient ni riches ni pauvres, et de plus résidaient à Saint-Vincent de Paul.
Aucun événement remarquable ne signala mon entrée en cette vie, si ce n'est le grand choléra de 1852. Je n'en fus probablement pas cause.
Mon enfance ne se distingua par aucune qualité caractéristique, sauf un go?t prononcé pour la pêche à la ligne, et une passion pour le latin. Des nuits entières je fus la terreur des barbues et anguilles de l'anse à Bleury, et à quinze ans j'étais en rhétorique.
Là s'arrêtèrent mes succès de collège, et après quelques autres triomphes à la ligne, je songeai à me créer une position. J'y ai bien réussi: je suis soldat.
Quant à mon physique, sachez donc tous que j'ai vingt-huit ans et cinq pieds dix pouces. Je porte moustache et barbe au menton. J'ai l'oeil brun le soir et gris le jour. Je n'ai ni taches de rousseur, ni grains de beauté nulle part. Je monte médiocrement à cheval, je tire mal de l'épée et très bien au pistolet. Je suis robuste et je ne sais pas danser. J'ai les cheveux très-noirs, un nez dr?le et beaucoup de dettes.
J'étudie l'allemand et l'arabe. Je connais bien l'anglais, et j'habite l'Algérie. J'aime beaucoup le Canada, et je loge au troisième étage. Je raffole de la chaleur, et je sais un peu parler fran?ais.
étant en outre affligé d'un petit talent de joueur de fl?te, je file des sons si doux, si doux,--et je ne me gonfle certainement pas les joues.
Dernier détail, non le moins important, je me nomme Joseph, et je ne m'en réjouis pas. Ce nom m'a suivi jusqu'à ce jour, et je me suis toujours efforcé de ne pas en avoir l'air.
Là-dessus je me lache, et vous emmène à ma suite sur les hauts plateaux algériens.
Assis au milieu de ma tente, je fais face au sud-est, et, suivant cette direction du regard, on y voit mon bidon. Je l'empoigne.

III
LE BIDON
Je voudrais conna?tre le gaillard qui a fait mon bidon. Je lui donnerais une partie de ma pension de retraite, pour le récompenser des services que son oeuvre m'a rendus.
Le bidon est un monde, et ceux qui n'ont jamais apprécié ses qualités après la grande halte sont à plaindre. Tout est dans le bidon, et le mien est fameux.
Son gouffre de deux litres servit à bien des h?tes. A l'eau boueuses des Rédirs succéda l'eau salée des schotts. Celle-ci se laissa facilement remplacer par une boisson claire et limpide, mais pas souvent.
L'absinthe, le vin, le marc de café, la cerisette y jouèrent aussi un certain r?le dans les bons moments; mais, grand Dieu! que ces bons moments furent clairsemés!
A l'instant où j'écris, mon bidon n'a pas du tout l'air intéressant, et, avant de vous dire en quoi il pêche, je vous narre les détails de son physique.
Ovale d'aspect et arrondi de flancs, mon bidon a deux entrées: une petite et une grande. Ces entrées font saillie en forme de goulots. Deux bouchons de liège empêchent le contenu de sortir du contenant.
Le fer-blanc est le métal de sa confection. Deux oreillettes, scellées de chaque c?té, re?oivent une banderole qui permet de le suspendre aux épaules.
Le bien-être et les ordres exigent que le bidon soit recouvert de l'étoffe de vareuse hors de service. Le mien a double couvert, et, pour ce, je veux que son contenu ait une double fra?cheur.
Son physique examiné, je vous dis pourquoi il est actuellement dénué d'intérêt palpitant.
Placé dans la partie sud-est de ma tente--chose que j'ai eu l'honneur de dire plus haut,--mon bidon penche du c?té de la riante et boueuse rivière, et appara?t au voyageur avec une oreillette en moins et
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