Expéditions autour de ma tente | Page 3

Ch. Des Ecores
effilés, il hache, il coupe, il découpe les deux sacs à distribution, les place sur le plancher en forme de triangles et les rattache aussit?t aux tentes-abris.
Vient ensuite le tour de la toile d'emballage. Le tailleur la saisit, en fait une longue bande de vingt centimètres de largeur et l'emploie pour orner utilement le bas de son travail comme chasse-poussière.
Pour terminer l'oeuvre, il ne reste plus que la cravate d'ordonnance, prise sur ma masse à raison de cinquante-cinq centimes. Le tailleur n'hésite pas. Il la prend, la perce de son aiguille et en pare le sommet de ma tente.
Il est utile maintenant de raconter les opérations de seconde importance.
Il fallait une porte. Un violent coup de ciseau accomplit cet acte. Un bourrelet, vivement enlevé donne un solide point d'appui aux vieilles boucles et courroies, dues à la générosité du ma?tre cordonnier, et la porte fut.
Le tailleur se lance ensuite sur les cordeaux de piquets.
Per?ant de petits trous, à égales distances, sur tout le pourtour du bas, il y introduit des cordeaux, ayant pour mission de s'accrocher aux piquets, dans les moments opportuns.
C'est fini. Le couturier, la sueur au front et le sourire aux lèvres, me présente ma tente, et je fus bouleversé.
J'ai toujours admiré le courage et l'adresse de ce jeune ouvrier, à qui je persiste à refuser toute notice biographique. Quoique confondu de son savoir-faire, je ne l'en remerciai pas moins, avec cent sous de pourboire, de m'avoir construit un abri, appelé plus tard à m'accompagner dans ma poursuite de cet insaisissable Bou-Amema.
L'existence est parsemée de faits aussi étonnants, et il faut que l'ame humaine soit bien ferrée pour résister aux chocs que la brutalité des choses lui fait si souvent éprouver.
Trêve de réflexions philosophiques. C'en était donc fait. Là, sur le plancher de la chambre Q pour huit hommes, gisait l'amas de toile qui devait me dérober aux tempêtes. Je me livrais entièrement à la joie.
Mais, ? déception! comment faire tenir cette tente debout?... Quels piliers pourraient être dignes de soutenir dans les airs le fruit de tant de travail?...
Les supports ordinaires ne suffiraient jamais,--leurs minces contours leur ?tant la force d'accomplir une telle besogne.--Il faut donc trouver autre chose...
Penché à la croisée, ayant à l'oeil cette ténacité rêveuse qui s'accroche à un objet sans le voir, je me plonge dans de lugubres rêveries...
Mon esprit se perd de plus en plus dans les difficultés du dilemme que j'avais juré de résoudre... Tout à coup retentit un cri sourd, inhumain, féroce.
Je tourne la tête et vois mon ordonnance. Il y a quelque chose de fatal dans son regard avide, obstinément fixé sur un objet appuyé contre les baraques du génie.
Sauvé! m'écriai-je... mais comment m'en emparer?... Le génie ne rend jamais son bien... Ce morceau de bois sera à moi, affirmai-je en rugissant. Et dès cet instant, le génie dut trembler.
Il fait nuit. L'orage, secondé par de noirs nuages, fait entendre, dans l'immensité du lointain, le glas funèbre de son approche. Le vide noir enveloppe la terre et l'espace de son linceul de nuit.
Quelques grosses gouttes de pluie, tombant méthodiquement, font gémir les feuilles affolées. La ville est déserte, ses habitants renfermés.
Seul, un homme aux allures mystérieuses et portant à la bouche le sinistre rictus des criminels, marche à pas lents, dans le sentier du mal.
Arrivé près du mur où doit se commettre le crime, un sourire sardonique illumine son visage, à la vue de l'isolement que l'entoure, et... cinq minutes après, il rentrait dans la chambre Q pour huit hommes: la pièce de bois était conquise.
Le lendemain, le menuisier la coupe en trois longueurs.
Deux, mesurant un mètre, servent de piliers et portent des tenons à leurs extrémités supérieures. La traverse, mortaisée aux deux bouts, relie les montants, et ma tente avait des supports.
Il me semble superflu de suivre ma tente dans ses nombreuses pérégrinations.
Lancée dans une campagne aventureuse, elle visita maints endroits et dut se déplacer souvent.
Les paysages qui lui donnèrent l'hospitalité présentent peu de variétés. Tant?t, fichée au sol, dans quelque endroit sablonneux, elle devait faire d'héro?ques efforts pour résister aux vents en furie; tant?t, accrochée aux flancs d'une montagne à pic, elle prenait les airs penchés très-intéressants à analyser.
L'alfa et le thym lui firent souvent un entourage épais et odoriférant; par contre, le salpêtre des schotts lui témoignait bien peu de sympathie.
Elle eut maintes fois à maugréer contre les rochers qui se refusaient obstinément à lui accorder droit de demeure, et elle ne se trouva réellement solide au poste qu'au lieu où elle vient d'élire domicile pour trois mois.
En cela, elle rivalise de satisfaction avec son propriétaire, qui souvent fut très-ennuyé d'avoir à l'arracher au g?te à des heures indues.
Ma tente se présente donc au lecteur avec une installation de trois mois.
J'en profite pour livrer à la postérité un voyage d'exploration descriptive dans ses parages extérieurs et
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