Monsieur de Saint-Benest.--Pardon! c'est moi qui suis trésorier, il y a
tout juste un louis.
Le vicomte d'Escal.--Versé entre nos mains par le tapissier royaliste de
la rue Vanneau.
Le Président.--Là n'est pas la question. Je ne crois même pas utile de
mettre en discussion une subvention pécuniaire que nous ne pouvons ni
ne voulons accorder.
Monsieur de Saint-Benest.--Ça lui apprendra à ne pas nous consulter.
Le Président.--Maintenant, Messieurs, il faut boire le vin qui est tiré. Je
vous demande de bien vouloir vous résigner à donner votre appui au
candidat. Je crois que vous y consentirez tous et j'ai l'honneur de prier
notre cher secrétaire, le chevalier de Sainte-Gauburge, de vouloir bien
insérer au procès-verbal que: 1º Le comité vote un blâme à M. Jacques
de Mérigue (à l'unanimité!); 2° Le comité ne fournit à M. Jacques de
Mérigue aucune subvention pécuniaire (à l'unanimité!); 3° Le comité
appuie la candidature de M. de Mérigue (à l'unanimité!) Mes chers
collègues, la séance est levée.
VIII
A LA MODE
Mérigue était le lion du jour. Toute la presse s'occupait de cet
audacieux Éliacin qui, rompant avec les habitudes gâteuses de la
phraséologie politique, parlait un langage clair, net, incisif, catégorique.
Le Rappel le qualifia de petite vipère réactionnaire couvée trop
longtemps dans le sein d'une administration républicaine. Il reçut dans
son grenier une visite d'un reporter du Figaro qui se plut à louer la
simplicité spartiate du vaillant champion de la légitimité.
D'innombrables cartes de congratulation affluaient à son casier. On ne
parlait que de lui dans les salons bien pensants et beaucoup de jeunes
femmes témoignaient le désir de voir en chair et en os le jeune athlète
dont le nom retentissait si fort à leurs oreilles. Deux princes, trois ou
quatre ducs, une demi-douzaine de marquis, des régiments de comtes et
des troupeaux de barons voulurent faire l'ascension des cent vingt
marches. Ils restaient tous bouche béante devant le dénûment du
candidat et se demandaient comment il était possible que tant de valeur
et de hardiesse fussent le partage d'un personnage aussi déshérité du
sort. Jacques, qui croyait «marcher vivant dans son rêve étoilé»,
recevait toutes les félicitations et tous les compliments d'une façon à la
fois gauche et hautaine qui était pleine d'une étrange saveur. Il s'était
empressé, naturellement, d'aller occuper son poste de répétiteur au
collège ecclésiastique de la rue de Monceau, où le révérend Père
Coupessay l'avait accueilli comme une grande dame. Ce religieux
opportuniste eut même l'admirable toupet de lui dire qu'il lui semblait
bien l'avoir déjà vu quelque part. Tous les jeunes gens de famille
avaient réclamé, comme une précieuse faveur, les leçons de ce
conquérant si remarquable à la fois par sa mine fière, sa désinvolture et
son caractère bon enfant. Son premier élève avait été Théodore de
Vannes, le propre frère de la Vénus de Sainte-Radegonde, sorte de gros
garçon, jovial et brutal, élevé à la diable, notablement intelligent et
doué par-dessus tout d'une excentricité voisine de l'aliénation.
Théodore avait, dès le premier jour, voué à son maître d'occasion une
admiration désordonnée et une sorte d'amitié violente et sans mesure.
Jacques trouvait bien toutes les démonstrations de l'adolescent un peu
encombrantes, mais le vague espoir d'arriver à la soeur par le frère le
déterminait à supporter toutes les effusions obsédantes du collégien. Il
le fit causer avec un certain art et apprit une foule de choses
intéressantes, au sujet de sa chimère. Il eut la confirmation des
fiançailles de Blanche avec le duc de Largeay. Théodore ajouta que
cette union était le résultat d'une pure convenance de famille et que sa
soeur trouvait le duc fade et ennuyeux. Il était absolument du même
avis et regrettait vivement que Blanche n'épousât pas un homme
intelligent et digne d'elle. On la surnommait partout la quatrième Grâce
et elle allait unir ses destinées à celles d'un boudin sans savoir et sans
esprit, dont tout le mérite consistait à perpétuellement rire, aux fins
d'exhiber un râtelier perfectionné payé six mille francs chez Préterre.
Du reste, ajoutait Théodore, ce mariage n'était certes pas fait encore et
pourrait bien ne jamais se réaliser. On juge si ces déclarations étaient
approuvées et appuyées par Mérigue, qui arrivait à se dire
intérieurement: décidément, ce gaillard-là est très fort! il n'a pas les
préjugés de ses pareils: il est utilisable. L'affection qu'il me témoigne,
jointe à cette largeur d'idées, peut mettre bien des atouts dans mon jeu.
Un jour, le candidat royaliste reçut la lettre suivante:
«Monsieur,
«Je fais une collecte à domicile pour les pauvres du quartier
spécialement secourus par M. l'abbé de la Gloire-Dieu. Tout le bien
qu'on dit de vous me fait un devoir de compter sur votre générosité.
J'aurai le plaisir de me présenter moi-même chez vous et je ne doute
pas de l'accueil que vous voudrez bien
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