de tout, à vivre de rien. Puis, un certain jour, la protection d'un
ami puissant lui valut l'entrée au ministère des cultes en qualité
d'expéditionnaire et aux appointements de 1200 francs. «Me voici en
route pour la conquête des étoiles», écrivait-il à son père le soir de sa
nomination. Et il se voyait déjà chef de service, sous-secrétaire d'État,
ministre. Malheureusement pour lui, il avait la république en exécration,
et arrivait tous les jours au bureau avec une énorme fleur de lys à sa
cravate. Il battit des mains au 16 Mai, et se fit une réputation méritée
d'enragé réactionnaire. Aussi ne tarda-t-il pas à être révoqué quelques
mois après l'échec de la tentative conservatrice, et se trouva-t-il, à
vingt-cinq ans, sans ressources et sans position sur le pavé inhospitalier
de Paris.
Il se mit à faire des vers, probablement pour continuer sa marche vers
les astres.
La famille de Mérigue fut atterrée à la nouvelle de la mesure qui
frappait son représentant.
Le lendemain du jour fatal, nous trouvons le père, la mère et leurs trois
filles, tristement assis dans la pièce délabrée qui servait de salon à la
pauvre maison tout en ruines.
Le vieux Mérigue, vif et plein d'ardeur, prompt à toutes les illusions,
faisait diversion à son chagrin par des interjections d'espérance: «Je n'ai
aucune inquiétude pour l'avenir. Jacques est un garçon hors ligne, il
arriva à tout, à tout, entendez-vous, mes enfants.
--Mon ami, soupira madame de Mérigue, un ange de piété et de
douceur, il faut prier le bon Dieu et s'en rapporter à sa sainte volonté. Il
n'abandonnera certainement pas notre pauvre enfant.
Marianne, la fille aînée, le type achevé du dévouement et de
l'abnégation, hochait la tête tristement. Elle dirigeait le ménage depuis
de longues années et, avec les ressources les plus exiguës, faisait face à
toutes les nécessités à force de travail, d'esprit de suite et de privations
personnelles. Sa vie pénible et terre à terre l'avait imprégnée de sens
pratique.
--Notre cher frère, dit-elle après une pause, aurait peut-être mieux fait
de se tenir tranquille, on n'abdique pas ses opinions parce qu'on les
garde au fond de son coeur... Marianne, à ces mots, fut brusquement
interrompue par sa cadette, Mathilde, souverainement exaltée en
politique comme en religion.--Par exemple!... C'est son plus beau titre
d'honneur... tu voudrais peut-être qu'il eût consenti à garder le silence
devant les actes de ce gouvernement infâme... lui!... un Mérigue... un
fils des Croisés!...
A ce moment, la plus jeune des soeurs de la victime, Jacqueline, qui
avait toujours été sa préférée, ayant participé à tous les jeux et à tous les
rêves de son enfance, embrassa le vieux Mérigue sur les deux joues en
disant: «Papa a raison. Jacques parviendra... il ramènera le roi sur le
trône. Il sera ministre d'Henri V, vous verrez!...
--A la bonne heure, s'écria le père. Voilà le cri de mon sang... bien parlé,
fillette.
--Sans doute, observa Marianne, mais en attendant, comment
vivra-t-il?... Nous ne pouvons rien lui envoyer... C'est le dénûment!
--S'il pouvait songer à offrir ses souffrances au bon Dieu, hasarda la
sainte mère...
--Mais enfin, dit Mathilde, le parti royaliste est riche, il ne laissera pas
dans la misère un coreligionnaire aussi méritant... On va se disputer
l'honneur de lui trouver une position.
--Il la conquerra, affirma le père.
--Comme les étoiles!... murmura Marianne pensive.
--Et puis, continua le chef de la famille, Jacques se mariera...
brillamment... splendidement... il sera riche.
--Précisément, dit Jacqueline, il m'écrivait l'autre jour qu'il avait vu à
l'église Sainte-Radegonde, une jeune fille admirablement jolie qui avait
paru le considérer attentivement.
--Quand on est en présence de Dieu, observa Mme de Mérigue, on ne
doit penser qu'à lui.
--Mais enfin, reprit l'aînée, comment voulez-vous qu'il se
marie?--Quelle dot apportera-t-il à l'opulente héritière qu'il convoite?
L'usufruit du quart de nos dettes...
--Que dis-tu, ma fille? exclama le vieux Mérigue, il apportera un nom
sans tache, aussi vieux que la chevalerie française, une glorieuse suite
d'aïeux illustres, un alliance avec les Montmorency pendant la guerre
de Cent-Ans... une intelligence... un coeur... une grande destinée...
--Et pas d'argent, pas de situation...
--Et l'alliance avec les Montmorency pendant la guerre de Cent-Ans?...
--Mieux eût valu une alliance avec les Rothschild à l'époque de
Waterloo...
--Quelle horreur! s'écria Mathilde en levant les bras. Avoir de l'or fluide
au lieu de sang dans les veines, plutôt mendier... plutôt mourir!
--Mais, reprit Jacqueline, si cette jolie jeune fille faisait toujours
attention à lui, il pourrait faire une visite à sa famille.
--J'aimerais bien mieux, dit Mme de Mérigue, qu'il allât voir ce bon
abbé de la Gloire-Dieu qui le confessait autrefois quand il était sage!...
--Et la conclusion pratique de tout cela, dit Marianne, positive...
--D'abord, répliqua le vieux Mérigue, écrivons-lui, ça lui fera du bien
au coeur.
--Mettons tous un petit
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