Excelsior | Page 5

Léonce de Larmandie
sortie une aum?ne probablement considérable, dont vous l'avez beaucoup remerciée... je l'ai vue deux fois et je lui ai voué un amour immense, je crois qu'elle y répond... mais voyez la malechance, je ne sais pas seulement son nom... je voulais vous prier de me l'apprendre, excusez mon indiscrétion.
L'abbé de la Gloire-Dieu ouvrait la bouche pour demander à son interlocuteur s'il était fou, quand il sentit que cette prodigieuse na?veté était entièrement franche et convaincue. Il ne sourit même pas, son visage revêtit au contraire une expression de tristesse.
--Mais, mon bien cher Jacques, reprit-il, on me remet tous les jours des aum?nes, il m'est impossible de savoir à qui vous faites allusion, de plus il s'agit certainement d'une personne fort riche, appartenant à une grande famille et fiancée à l'heure qu'il est, n'en doutez pas. Dans le monde les mariages se décident souvent fort longtemps d'avance. Je vous engage à ne plus penser à cela et à étouffer un sentiment qui ne peut que vous infliger des souffrances morales. Songez d'abord à une situation... Je m'offre à vous en faciliter la recherche. Revenons à cette idée de professorat dont vous me parliez tout à l'heure. Voulez-vous que je vous recommande au père Coupessay, directeur du collège Oratorien de la rue de Monceau?
Mérigue avait compris à l'accent du prêtre que le désir manifesté par lui était chimérique et même un peu ridicule. Il avait trop d'opiniatreté pour y renoncer, mais il fut profondément humilié de l'accent de pitié qu'il avait découvert dans les paroles de l'abbé. Aussi se contenta-t-il de répondre à l'offre de celui-ci par un ?oui, monsieur, je veux bien? un peu indifférent et assez dépité.
--J'écrirai ce soir même, répliqua le vicaire et vous irez voir le Révérend Père après demain. Adieu, mon enfant, et tout à votre service pour ce qui dépendra de mes faibles moyens.
Jacques s'éloigna la rage au coeur. Comme il remontait précipitamment la rue du Bac, il se sentit frapper amicalement sur l'épaule. Il se retournait plein d'humeur, quand il se trouva en face du seul ami intime qu'il possédat à Paris, le jeune baron de Sermèze, fort riche, fort lancé, dont il avait fait la connaissance par hasard dans un musée, et qui s'intéressait à ses productions littéraires.
--Eh bien! mon pauvre vieux, exclama le baron d'une voix bonne enfant, c'est comme cela que tu passes devant les amis sans crier gare?
--Tiens, dit Mérigue, je te rencontre à propos.
--Qu'y a-t-il pour ton service?...
--Une chose très simple; je voudrais savoir le nom d'une jeune fille ravissante qui va tous les soirs au salut à Sainte-Radegonde et qui se tient près du pilier gauche de la chapelle de la Vierge.
Sermèze partit d'un éclat de rire.
--Toujours tes ambitions impériales, pauvre fou!...
--J'ai lieu de croire qu'elle m'a remarqué, et, entre nous, si je pouvais un jour... arriver à en faire...
--Ta ma?tresse?...
--Ma femme.
--Je croyais que ta folie était bénigne, elle est furieuse, mon cher...
--Tu ne veux pas me procurer ce renseignement?
--Oh! que si fait... si cela suffit à ton bonheur, donne-moi deux jours...
--Je t'en donne quatre.
--C'est trop de moitié.
--Va, cher, je te revaudrai cela. Adieu!...
--Tu me quittes ainsi?
--Oui, excuse-moi, je n'ai pas la tête bien libre.
--Je suis trop poli pour te contredire. Au revoir.
Deux jours après Jacques de Mérigue recevait l'épitre suivante:
?Mon cher aliéné,
?Tu as tout bonnement jeté ton dévolu sur Mlle Blanche de Vanves; charmante, spirituelle, un million de dot. Toutes mes félicitations pour ton bon go?t. Renseignements complémentaires: vingt ans d'age. Domicile: H?tel Soubise, 85, rue Saint-Dominique (ne va pas y demander une chambre, entre parenthèse). Le jour de ton départ pour Charenton, fais-moi l'amitié de me prévenir.
?Tout à toi,
?SERMèZE.?
P. S.--Mlle de Vannes est fiancée depuis un mois au duc de Largeay.

V
CANDIDAT
Mérigue, la tête dans ses mains, avait laissé tomber son porte-plume sur une page de son grand poème la Rédemption des damnés. ?Blanche de Vannes,? se disait-il en lui-même, ?H?tel Soubise... un million de dot... et moi, dans une mansarde, avec soixante-dix francs de fortune... Ah! si j'étais seulement célèbre dans les lettres, dans la politique... personne n'a voulu imprimer mon dernier manuscrit, ces pauvres Jacinthes et Pervenches. Ma Rédemption aura-t-elle plus de succès! si je pouvais me présenter à la Chambre ou même au Conseil municipal de Paris. Je percerais, bien s?r. Ah! oui, on parlerait de moi. Il y a précisément un siège vacant au Pavillon de Flore... Mais que faire avec soixante-dix francs, juste ce qu'il faudrait pour m'en retourner chez moi, en laissant ici deux cents francs de dettes. Partirai-je? Ah! dix ans de souffrances m'ont bien mérité quelque repos? mais mon pauvre père, ma mère, mes soeurs, qui ont placé en moi tout leur espoir; et le nom que je dois représenter et relever, et le vieil orgueil qui a été ma viande et mon vin quand je mangeais du pain sec
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