Excelsior | Page 3

Léonce de Larmandie
son fils, du représentant de son nom glorieux. Nous t'embrassons tous.
?JOSEPH, COMTE DE MéRIGUE.?
Madame de Mérigue ajouta:
?Mon fils bien-aimé,
?Reconnais la main de Dieu dans le coup qui te frappe et reviens franchement à lui. Confie-toi à sa divine providence, et songe bien que rien n'arrive dans ce monde sans son ordre ou sa permission. Nous pouvons tout avec son secours. S'il nous abandonne, nous sommes impuissants. Prie-le avec ferveur et écoute les conseils de ta mère qui pense toujours à toi.
?CAROLINE DE MéRIGUE, NéE BARAT,?
Marianne prit la plume.
?Mon cher frère,
?Il est temps que tu te mettes à réfléchir d'une fa?on pratique et sérieuse. Si le malheur qui t'arrive te faisait abandonner tes rêves de grandeur, je le bénirais mille fois. Tu es intelligent et bien portant, tu as tout ce qu'il faut pour acquérir une position solide et honorable. Fais des efforts dans ce but et renonce aux chimères qui ont obsédé ta jeunesse. Tu sais bien que ce langage m'est dicté par ma raison et ma fraternelle amitié.
?MARIANNE.?
Mathilde griffonna impétueusement:
?Mon bien cher Jacques,
?Je suis fière de ta disgrace. Tu es tombé en combattant le bon combat, quand même tu ne te relèverais pas, ce serait un éternel honneur pour toi et pour nous. Restons ce que nous sommes, dussions-nous mourir de misère. Vive le roi!...
?MATHILDE.?
Jacqueline cl?tura ainsi la soirée des ép?tres:
?Mon petit Jacques,
?Moi, je suis tout à fait de l'avis de papa qui n'a aucune crainte pour ta situation future. J'ai tressailli d'espérance quand j'ai lu dans ta dernière lettre, qu'une jeune fille du grand monde avait paru faire attention à toi... Comme je vais prier le bon Dieu pour que tu puisses conquérir cette étoile!... en attendant les autres... Je t'embrasse de tout mon coeur.
?JACQUELINE.?
Maintenant, insinua Mme de Mérigue, si nous faisions notre prière du soir?...

III
AU CINQUIèME
93, rue des Saints-Pères. En attendant l'heure propice pour la conquête des étoiles, Jacques de Mérigue s'est logé au cinquième étage, au-dessus de l'entresol, le plus près possible de son futur empire céleste. Son appartement se compose d'une chambrette et d'une petite entrée mesurant à peine un mètre carré, le tout loué moyennant 400 francs par an, à l'époque de sa prospérité relative, lorsqu'il gagnait 100 francs par mois. Le mobilier de la chambre se compose en premier lieu d'un lit de fer, d'une telle étroitesse que les amis du locataire le qualifient de certificat de bonne vie et moeurs; on voit ensuite deux chaises de paille grossière, une table boiteuse et une commode en bois blanc. Sur la cheminée une photographie du comte de Chambord non encadrée et souillée de poussière, s'appuie au socle d'une petite lampe à pétrole. L'atre ne possède pas de chenets, ces ustensiles ne servant point aux personnes qui se passent de feu. Le plafond de la pièce est naturellement très bas et très sombre, il semble vouloir écraser la tête du jeune homme, et étouffer ses élans vers l'idéal. Jacques vient de recevoir la lettre où tous les membres de sa famille ont voulu lui rappeler leur affection inaltérée. Il abandonne pour quelques instants son grand poème La Rédemption des damnés, sur lequel il compte pour faire un pas dans le chemin de la gloire. Il parcourt rapidement les quatre premières parties de l'ép?tre et s'arrête longuement aux dernières lignes tracées par sa chère Jacqueline, qui font allusion ?à la belle demoiselle de Sainte-Radegonde...?--Si j'y allais ce soir, se dit-il. Il y a une cérémonie en l'honneur du carême... Elle m'a bien regardé l'autre jour!... Si on voit des rois épouser des bergères, le contraire peut évidemment arriver... enfin allons-y. Cela me fera toujours passer quelques bons moments, et puis la vue de cette face rayonnante m'inspirera pour mes vers.
Jacques descendit quatre à quatre ses cent vingt marches, et enjamba en dix minutes l'espace qui le séparait de l'église. La nuit était close, il entra par une des portes latérales et se dirigea vers la chapelle du fond, noyée dans une douce pénombre où flottait un brouillard d'encens.
Soudain, il s'arrêta brusquement, comme hypnotisé par une vision. Elle était là. Gracieusement agenouillée de fa?on à faire ressortir le contour élégant de son corps, la tête légèrement inclinée et à demi cachée dans ses mains, elle paraissait poursuivre une prière monotone, vaguement troublée par une rêverie amoureuse... Un imperceptible sourire plissait de temps à autre ses lèvres fines, puis survenait un mouvement de tête destiné sans doute à chasser une obsession doucement importune. Mais le sourire allait toujours s'accentuant et les mouvements de résistance, s'atténuaient de minute en minute. Mérigue toussa maladroitement. La belle nymphe se redressa sur le champ, aper?ut son contemplateur, et, de ses yeux profonds et noirs, lui envoya un regard pareil à un coup de lance. Le pauvre Jacques, anéanti, s'appuya à une colonne pour ne pas tomber, et laissa choir sa canne, qui,
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