Excelsior | Page 2

Léonce de Larmandie
chef de service, sous-secrétaire d'état, ministre. Malheureusement pour lui, il avait la république en exécration, et arrivait tous les jours au bureau avec une énorme fleur de lys à sa cravate. Il battit des mains au 16 Mai, et se fit une réputation méritée d'enragé réactionnaire. Aussi ne tarda-t-il pas à être révoqué quelques mois après l'échec de la tentative conservatrice, et se trouva-t-il, à vingt-cinq ans, sans ressources et sans position sur le pavé inhospitalier de Paris.
Il se mit à faire des vers, probablement pour continuer sa marche vers les astres.
La famille de Mérigue fut atterrée à la nouvelle de la mesure qui frappait son représentant.
Le lendemain du jour fatal, nous trouvons le père, la mère et leurs trois filles, tristement assis dans la pièce délabrée qui servait de salon à la pauvre maison tout en ruines.
Le vieux Mérigue, vif et plein d'ardeur, prompt à toutes les illusions, faisait diversion à son chagrin par des interjections d'espérance: ?Je n'ai aucune inquiétude pour l'avenir. Jacques est un gar?on hors ligne, il arriva à tout, à tout, entendez-vous, mes enfants.
--Mon ami, soupira madame de Mérigue, un ange de piété et de douceur, il faut prier le bon Dieu et s'en rapporter à sa sainte volonté. Il n'abandonnera certainement pas notre pauvre enfant.
Marianne, la fille a?née, le type achevé du dévouement et de l'abnégation, hochait la tête tristement. Elle dirigeait le ménage depuis de longues années et, avec les ressources les plus exigu?s, faisait face à toutes les nécessités à force de travail, d'esprit de suite et de privations personnelles. Sa vie pénible et terre à terre l'avait imprégnée de sens pratique.
--Notre cher frère, dit-elle après une pause, aurait peut-être mieux fait de se tenir tranquille, on n'abdique pas ses opinions parce qu'on les garde au fond de son coeur... Marianne, à ces mots, fut brusquement interrompue par sa cadette, Mathilde, souverainement exaltée en politique comme en religion.--Par exemple!... C'est son plus beau titre d'honneur... tu voudrais peut-être qu'il e?t consenti à garder le silence devant les actes de ce gouvernement infame... lui!... un Mérigue... un fils des Croisés!...
A ce moment, la plus jeune des soeurs de la victime, Jacqueline, qui avait toujours été sa préférée, ayant participé à tous les jeux et à tous les rêves de son enfance, embrassa le vieux Mérigue sur les deux joues en disant: ?Papa a raison. Jacques parviendra... il ramènera le roi sur le tr?ne. Il sera ministre d'Henri V, vous verrez!...
--A la bonne heure, s'écria le père. Voilà le cri de mon sang... bien parlé, fillette.
--Sans doute, observa Marianne, mais en attendant, comment vivra-t-il?... Nous ne pouvons rien lui envoyer... C'est le dén?ment!
--S'il pouvait songer à offrir ses souffrances au bon Dieu, hasarda la sainte mère...
--Mais enfin, dit Mathilde, le parti royaliste est riche, il ne laissera pas dans la misère un coreligionnaire aussi méritant... On va se disputer l'honneur de lui trouver une position.
--Il la conquerra, affirma le père.
--Comme les étoiles!... murmura Marianne pensive.
--Et puis, continua le chef de la famille, Jacques se mariera... brillamment... splendidement... il sera riche.
--Précisément, dit Jacqueline, il m'écrivait l'autre jour qu'il avait vu à l'église Sainte-Radegonde, une jeune fille admirablement jolie qui avait paru le considérer attentivement.
--Quand on est en présence de Dieu, observa Mme de Mérigue, on ne doit penser qu'à lui.
--Mais enfin, reprit l'a?née, comment voulez-vous qu'il se marie?--Quelle dot apportera-t-il à l'opulente héritière qu'il convoite? L'usufruit du quart de nos dettes...
--Que dis-tu, ma fille? exclama le vieux Mérigue, il apportera un nom sans tache, aussi vieux que la chevalerie fran?aise, une glorieuse suite d'a?eux illustres, un alliance avec les Montmorency pendant la guerre de Cent-Ans... une intelligence... un coeur... une grande destinée...
--Et pas d'argent, pas de situation...
--Et l'alliance avec les Montmorency pendant la guerre de Cent-Ans?...
--Mieux e?t valu une alliance avec les Rothschild à l'époque de Waterloo...
--Quelle horreur! s'écria Mathilde en levant les bras. Avoir de l'or fluide au lieu de sang dans les veines, plut?t mendier... plut?t mourir!
--Mais, reprit Jacqueline, si cette jolie jeune fille faisait toujours attention à lui, il pourrait faire une visite à sa famille.
--J'aimerais bien mieux, dit Mme de Mérigue, qu'il allat voir ce bon abbé de la Gloire-Dieu qui le confessait autrefois quand il était sage!...
--Et la conclusion pratique de tout cela, dit Marianne, positive...
--D'abord, répliqua le vieux Mérigue, écrivons-lui, ?a lui fera du bien au coeur.
--Mettons tous un petit mot, proposa Jacqueline, qu'il sache que nos pensées ne le quittent pas!
Si nous commencions tout de suite? A toi, papa.
M. de Mérigue trempa nerveusement sa plume dans un vieil encrier qui tra?nait sur la table, et tra?a ces mots:
?Mon cher enfant,
?Courage! courage! pas de défaillances. Tu as devant toi un magnifique avenir. L'accident que tu as éprouvé est sans portée... et n'infirme pas dans le coeur de ton père l'inébranlable foi qu'il a dans le travail et l'énergie de
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